s comment as-tu eu l'ingenieuse idee...
-- Voila, dit Caboche tout en entortillant les jambes de Coconnas
dans des linges ensanglantes: j'ai su que vous etiez arrete, j'ai
su qu'on faisait votre proces, j'ai su que la reine Catherine
voulait votre mort; j'ai devine qu'on vous donnerait la question,
et j'ai pris mes precautions en consequence.
-- Au risque de ce qui pouvait arriver?
-- Monsieur, dit Caboche, vous etes le seul gentilhomme qui m'ait
donne la main, et l'on a de la memoire et un coeur, tout bourreau
qu'on est, et peut-etre meme parce qu'on est bourreau. Vous verrez
demain comme je ferai proprement ma besogne.
-- Demain? dit Coconnas.
-- Sans doute, demain.
-- Quelle besogne? Caboche regarda Coconnas avec stupefaction.
-- Comment, quelle besogne? avez-vous donc oublie l'arret?
-- Ah! oui, en effet, l'arret, dit Coconnas, je l'avais oublie. Le
fait est que Coconnas ne l'avait point oublie, mais qu'il n'y
pensait pas. Ce a quoi il pensait, c'etait a la chapelle, au
couteau cache sous la nappe sacree, a Henriette et a la reine, a
la porte de la sacristie et aux deux chevaux attendant a la
lisiere de la foret; ce a quoi il pensait, c'etait a la liberte,
c'etait a la course en plein air, c'etait a la securite au-dela
des frontieres de France.
-- Maintenant, dit Caboche, il s'agit de vous faire passer
adroitement du chevalet sur la litiere. N'oubliez pas que pour
tout le monde, et meme pour mes valets, vous avez les jambes
brisees, et qu'a chaque mouvement vous devez pousser un cri.
-- Aie! fit Coconnas rien qu'en voyant les deux valets approcher
de lui la litiere.
-- Allons! allons! un peu de courage, dit Caboche; si vous criez
deja, que direz-vous donc tout a l'heure?
-- Mon cher Caboche, dit Coconnas, ne me laissez pas toucher, je
vous en supplie, par vos estimables acolytes; peut-etre
n'auraient-ils pas la main aussi legere que vous.
-- Posez la litiere pres du chevalet, dit maitre Caboche.
Les deux valets obeirent. Maitre Caboche prit Coconnas dans ses
bras comme il aurait fait d'un enfant, et le deposa couche sur le
brancard; mais malgre toutes ces precautions, Coconnas poussa des
cris feroces. Le brave guichetier parut alors avec une lanterne.
-- A la chapelle, dit-il.
Et les porteurs de Coconnas se mirent en route apres que Coconnas
eut donne a Caboche une seconde poignee de main.
La premiere avait trop bien reussi au Piemontais pour qu'il fit
desormais le difficile.
|