gardent, que les muscles se tendent. Il a encore ce que personne n'a
eu avant lui, le don d'animer ainsi, d'une vie puissante, les etres
moyens, ordinaires, sans traits exceptionnels, et sans autres qualites
qu'une grande bonte et une forte volonte. Pour la classe bourgeoise,
pour les gros manoeuvres de la vie, il est inimitable. Enfin, il a concu
le premier, sans la realiser, malheureusement, la grande idee que le
roman ne devait pas etre une etude individuelle, mais bien une vue
d'ensemble ou passerait la foule, ou s'etalerait toute une epoque, et
qui, decentralise et indefini, engloberait tout un peuple dans un temps
et toute une ville. Ceux qui reprendront, apres M. Zola, la tache de
continuer le roman moderne devront partir de ce grand ecrivain plus
vaste qu'eleve, mais qui a construit, une fois pour toutes, les assises
des oeuvres futures. Avec le Flaubert de l'_Education sentimentale_,
avec le Tolstoi de la _Guerre et la Paix_, avec tout Balzac, avec les
psychologues comme Stendhal et les individualistes comme les de
Goncourt, les _Rougon-Macquart_, seront les ancetres du roman demotique
futur, ou il y aura des cerveaux et des corps, le peuple et les chefs,
les degrades et les genies, de la chair et des nerfs, le sang et la
pensee.
NOTES:
[Note 9: _Revue contemporaine_.]
VICTOR HUGO[10]
I
Au lecteur qui penetre dans l'oeuvre colossale, touffue, confuse, et
melee de M. Victor Hugo, un etonnement s'impose d'abord. Il ressent la
luxuriante abondance du style, la profusion des mots, des tournures, des
periodes, la variete des figures, la richesse des terminologies,
l'entassement de paragraphes sur paragraphes, les infinies suites de
strophes.
S'il s'efforce de discerner la loi de ces developpements, et la cause de
cette opulence, s'il tente de classer les idees d'un alinea, les aspects
d'une description, les traits d'une physionomie et les phases d'une
oeuvre, il decouvrira aussitot que la principale habitude de style et de
composition chez M. Victor Hugo, celle par qui il obtient ses effets les
plus caracteristiques et les plus intenses, est la repetition. Pas une
page et pas une suite de pages du poete, qui ne soit ainsi ecrite par
une serie petite ou enorme de variations aisement separables. Chacune
debute par une phrase-theme exposant l'idee que M. Victor Hugo se
propose d'amplifier; puis vient une redite, puis une autre en termes de
plus en plus abstraits, magnifiques ou abrupts, aboutiss
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