ilisation. Tout se joue sur nos
tetes. Il me semble que les jeunes sentent obscurement qu'ils verront de
grandes choses, que de grandes choses se feront par eux. Ils ne seront
pas des amateurs ni des sceptiques. Ils ne seront pas des touristes a
travers la vie. Ils savent ce qu'on attend d'eux[3]." Et parce qu'il
prenait une conscience nette de l'evenement qui dominerait nos
vies, nous trouvions a mediter sur l'aventure de cet officier, fils
d'intellectuels. Ne nous avait-il pas deja donne sujet de l'envier, ce
soldat au grand coeur qui realisait tout ce que nous souhaitions de
posseder: gout de l'action, desir du reve... Et dans cette lente reprise
de nous-memes que nous accomplissions, nous exaltions cette vie deja si
pleine, si riche de temoignages, qui nous faisait oublier la laideur et
les miseres ou nous nous agitions, pour nous decouvrir les vertus qui
seules donnent du prix a l'existence. Lorsque Psichari nous revenait des
continents perdus, les yeux laves par les horizons libres de l'Afrique,
c'est a ce solitaire que nous demandions le mot de nos destinees, c'est
lui que nous interrogions sur nous-memes, c'est de cet exile que nous
attendions les paroles qui elevent et qui fortifient. C'est ainsi qu'il
nous avait restitue le sens des vertus et de la gloire des armes[4].
Nous devions a son exemple une certaine tension de l'ame qui nous avait
aides a rejeter les piperies d'un enseignement meurtrier. Mais, sous
cette fievre de l'action, nous sentions que se debattait une plus grande
misere, ce mal inconnu qui nous laissait desempares devant la vie, ce
desir eperdu que la verite et la purete ne fussent point que de vains
mots.
N'etait-il pas notre frere, celui-la qui se montre, a vingt ans,"sans
defense contre le mal, sans protection contre les sophismes, errant
sans conviction dans les jardins empoisonnes du vice, mais en malade et
poursuivi par d'obscurs remords, charge de l'affreuse derision d'une
vie engagee dans le desordre des sentiments et des pensees". Quelle
mysterieuse preference nous faisait lever les yeux sur ce jeune homme
qui suivait pourtant une route oblique? Celui qui avait une fois
rencontre son regard, "ce regard pur, allant droit devant soi, ce regard
de toute clarte", celui-la decouvrait qu'Ernest Psichari avait une ame
et qu'il "etait ne pour croire et pour esperer, qu'il avait une ame
qui n'etait pas faite pour le doute, ni pour le blaspheme, ni pour la
colere". Nous sentions qu'il ne se pla
|