t de sa conversion, il avait commence par reciter l'office
benedictin. "Non, je ne puis continuer, nous avouait-il, je sens que je
suis dominicain." Enfin, c'etait un fils de saint Dominique qui l'avait
confesse, puis qui l'avait recu dans le Tiers-Ordre, en septembre 1913,
au couvent de Rijckholt, en Hollande. De toute certitude, il pensait
qu'il devait a l'intercession de saint Dominique "ce renouvellement de
son ame[29]".
Aussi bien, quand il voulut entreprendre le recit des choses admirables
que le Saint-Esprit avait accomplies dans son coeur, c'est saint
Dominique qu'il invoque pour obtenir le veritable esprit de l'Ordre:
_Oui, mon ambition est haute, ecrivait-il le 30 janvier 1914 a propos
du_ Voyage du Centurion, _bien haute pour un ouvrier de la onzieme heure
qui sans doute devrait se borner a l'humble etude des maitres. Mais je
ne sais quelle force me pousse: il me semble qu'il reste a faire, dans
le domaine de la pure litterature, un livre vraiment_ dominicain,
_autant que ce livre peut etre ecrit par un laic et un ecrivain.
Pourquoi n'ecrirais-je pas ce livre? Le dernier, le plus infime des
serviteurs de saint Dominique ne peut-il pas, par une priere_ continue,
_obtenir cet esprit de foi et de verite, et surtout ce veritable esprit
d'apostolat qui fait considerer, a chaque phrase que l'on ecrit,
l'utilite spirituelle plutot que la vaine beaute de l'art?_[30]
Mais d'autres soucis allaient traverser cette vie et la detourner pour
un instant des hautes preoccupations qui l'agitaient. Son conge acheve,
Ernest Psichari avait du rejoindre son regiment a Cherbourg. Nul
ne mettait a son metier plus de ferveur. Entre tous les devoirs du
chretien, c'est le devoir d'etat que ce soldat etait porte d'instinct
a placer le plus haut. Il sentait avec exactitude les lourdes
responsabilites qui pesent sur le plus humble des chefs: il s'y
consacrait avec amour. C'est plein d'allegresse qu'il reprit, en juin
1913, le chemin du quartier et qu'il revit ses hommes, ses chevaux, ses
canons. Mais, pouvait-il l'oublier, c'etait un etre nouveau qui revenait
parmi les siens. Il ne devait pas s'y sentir etranger. Les regiments, a
leur maniere, ne sont-ils pas "des couvents d'hommes"? "Meme habitude
de se donner corps et ame, remarque Vigny qui le premier nota la
ressemblance, meme besoin de se devouer; pareils usages de gravite, de
retenue et de silence." Ernest Psichari allait pouvoir y vivre sa double
vie de militaire et de chreti
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