'est que
l'entretien fut plutot long et que la petite Juana avait les yeux
singulierement rouges en sortant du cabinet.
Son entretien avec Pardaillan n'avait pas modifie son intention
d'assister a la course. Aussi, le moment venu, elle demanda a la vieille
Barbara de l'accompagner. Aussitot, celle-ci d'eclater:
--Aller a la course, vous, une demoiselle! Sainte Barbe, ma digne
patronne, se peut-il que mes oreilles entendent une demande aussi
incongrue! Est-ce la place, dites-moi, d'une jeune fille qui se
respecte!
Sans se facher, Juana avait maintenu sa demande, ajoutant que,
puisqu'elle n'avait pas droit aux places reservees, elle se contenterait
de se meler a la foule, et que, si Barbara refusait de l'accompagner,
elle irait seule. A quoi la matrone ne manqua pas de maugreer:
--Aller seule dans la foule! A quoi servirait-il donc d'avoir des
serviteurs encore robustes, Dieu merci! capables de faire respecter leur
jeune maitresse et de la defendre au besoin!--Suis-je donc si vieille,
si impotente que je ne puisse vous proteger! Jour de Dieu! j'irai avec
vous ou vous n'irez pas. Et, si quelqu'un vous manque, je lui ferai voir
de quel bois se chauffe votre nourrice Barbara, que vous jugez trop
vieille pour vous accompagner.
C'est ainsi que, la vieille escortant la jeune, elles etaient allees se
placer au milieu de la cohue. Juana, moins favorisee que la Giralda,
n'avait pu penetrer jusqu'au premier rang. Elle n'avait pas de siege
pour s'asseoir, pas le moindre petit banc pour s'exhausser, elle qui
etait si petite. Elle ne voyait rien. Elle ne connaissait les peripeties
des differentes courses que par ce qu'on en disait tout haut autour
d'elle, mais elle etait la.
C'est ainsi qu'elle avait vu--si nous pouvons ainsi dire--la temeraire
intervention de Pardaillan, et son coeur avait battu a coups precipites.
Mais, au souvenir des paroles qu'il lui avait dites le matin meme, elle
avait hoche douloureusement la tete comme pour dire:
"N'y pensons plus."
Lorsque la voix inconnue cria: "Mais c'est El Chico!" son petit coeur se
remit a battre comme il avait battu pour Pardaillan. Pourquoi? Elle ne
savait pas. Elle avait voulu voir. Mais elle avait beau avoir de grands
talons, elle avait beau se hausser sur la pointe des pieds, sauter sur
place, elle ne parvenait pas a apercevoir le nain.
Et, cependant, elle entendait les acclamations qui s'adressaient au
Chico. Au Chico! Qui lui eut dit cela quelques minutes plus
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