ontinuer a vivre de la
vie vulgaire, et suivre le cours de nos habitudes et nos travaux,
tout en sachant que des dangers, sans cesse renaissants, enveloppent
l'objet de nos affections qui vit loin de nous.
Ottilie allait pour ainsi dire s'abimer dans la solitude silencieuse
au milieu de laquelle elle vivait, lorsque le bon genie, qui veillait
encore sur elle, introduisit au chateau une espece de horde sauvage.
Le desordre qu'elle y causa, rappela les forces actives de la jeune
fille sur les objets exterieurs, et lui rendit la conscience de son
etre.
Luciane, la brillante fille de Charlotte, avait, ainsi que nous
l'avons deja dit, quitte le pensionnat, pour aller habiter avec sa
grande-tante, qui s'etait empressee de l'introduire dans le monde
elegant. La, le desir de plaire qui l'animait, devint une fascination
qui captiva bientot un jeune et riche seigneur, auquel il ne manquait,
pour reunir tout ce qu'il y avait de mieux en tout genre, qu'une
femme accomplie, dont tout le monde lui envierait la possession. Pour
arreter definitivement cet avantageux mariage, il fallait entrer dans
des explications et des details sans nombre, et etablir des relations
nouvelles; ce qui augmenta tellement la correspondance de Charlotte,
qu'elle ne pouvait plus s'occuper d'autre chose.
On savait que les jeunes fiances devaient venir voir leur mere; mais
l'epoque de cette visite n'etait pas fixee. Ottilie se borna donc a
faire lentement et par degres les preparatifs de cette reception. Rien
n'etait termine encore, lorsque le tourbillon s'abattit a l'improviste
sur le chateau.
Des voitures decouvertes amenerent d'abord un monde de femmes de
chambre et de valets; des brancards charges de caisses et de cartons
suivaient de pres cette bruyante avant-garde, a laquelle succeda
immediatement le gros de l'armee, c'est-a-dire, la grande-tante,
Luciane, plusieurs de ses jeunes amies du pensionnat et un nombre
considerable de gentilshommes des plus a la mode. Le pretendu s'etait
egalement entoure d'un cortege d'amis de son age et de son rang. Une
pluie battante survenue tout a coup augmenta le desordre de cette
entree tumultueuse et imprevue. Les bagages gisaient pele-mele dans
les vestibules et les antichambres, il n'y avait pas assez de bras
pour les porter, pas assez de voix pour dire a qui appartenaient telle
ou telle malle, caisse ou porte-manteau; les hotes encombraient les
salons et chacun voulait etre loge le premier. Ottilie seule re
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