r que les vers de ce poete. Des que le premier
morceau fut fini, il vint comme tout le monde, ainsi que la politesse
l'exige, la feliciter sur son admirable talent. Luciane, qui en
avait espere davantage de sa part, hasarda, mais en vain, plusieurs
allusions sur le choix des paroles. Forcee enfin de reconnaitre qu'il
ne la comprenait pas, ou qu'il ne voulait pas la comprendre, elle
chargea un des gentilshommes de sa suite, accoutume a executer ses
ordres, de demander directement au poete recalcitrant si ses vers,
chantes par une si belle bouche et une voix si seduisante, ne lui
avaient pas paru plus beaux qu'a l'ordinaire.--Mes vers? demanda le
poete surpris, mais je n'ai entendu que des voyelles, et pas meme
nettement articulees! N'importe, il est de mon devoir de remercier
cette dame de son aimable attention, et je m'en acquitterai.
Le Courtisan etait trop bien appris pour rendre a sa souveraine un
compte fidele de sa mission, le poete paya sa dette par des phrases
sonores, mais banales, et Luciane lui exprima assez clairement le
desir de pouvoir chanter a la premiere occasion une romance composee
par lui et pour elle. Pique de cette demande, il eut un instant la
pensee de lui presenter un alphabet, et de lui conseiller de prendre
au hasard les premieres lettres venues, avec l'intention d'en former
un hymne a sa louange, qu'elle pourrait ensuite appliquer au premier
air qu'il lui plairait de choisir; mais il sentit a temps que cette
ironie eut ete trop amere, et meme inconvenante. La soiree cependant
ne devait pas se passer sans faire subir a Luciane une humiliation
complete, car on ne tarda pas a lui apprendre que le jeune poete
venait de glisser dans le cahier de musique d'Ottilie un charmant
petit poeme qu'il avait compose sur un des airs favoris de la jeune
fille, et dans lequel respirait un sentiment trop tendre pour qu'il
fut possible de ne l'attribuer qu'a la simple galanterie.
Les personnes avides de louanges et dominees par le besoin de briller,
se croient ordinairement aptes a tout, et s'attachent presque toujours
de preference a ce qu'elles font mal. Luciane etait plus que toute
autre soumise a cette loi; aussi ne tarda-t-elle pas a chercher de
nouveaux succes dans la declamation. Sa memoire etait bonne, mais son
debit etait calcule sans intelligence, et exalte sans passion. Elle
avait, en outre, contracte la mauvaise habitude de ne jamais rien
reciter sans faire des gestes qui confondaient desagreableme
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