e demandait avec douleur pourquoi son corps se
conservait toujours.
Depuis longtemps ces tristes pensees occupaient ses journees et les
remplissaient de pressentiments de mort et de separation; mais ses
nuits etaient consolantes et douces. Des visions merveilleuses lui
prouvaient que son bien-aime appartenait encore a cette terre et l'y
rattachaient elle-meme. Chaque soir ces visions lui apparaissaient
au moment ou, couchee dans son lit, elle n'etait plus entierement
eveillee, et pas encore tout a fait endormie. Sa chambre lui
paraissait alors tres-eclairee, et elle y voyait Edouard revetu du
costume militaire, debout ou couche, a pied ou a cheval, toujours
enfin dans des attitudes differentes et qui n'avaient rien de
fantastique. Il agissait et se mouvait naturellement devant elle, et
sans qu'elle eut cherche a surexciter son imagination par le plus
leger effort. Parfois il etait entoure d'objets moins lumineux que
le fond du tableau, et dont les uns etaient mouvants et les autres
immobiles, tels que des hommes, des chevaux, des arbres, des
montagnes. Ces images cependant restaient toujours vagues et confuses;
en cherchant a les definir, le sommeil la surprenait, d'heureux reves
continuaient les visions qui les avaient precedees, et le matin elle
se reveillait avec la douce certitude que non-seulement Edouard
vivait, mais que leurs rapports mutuels etaient toujours les memes.
Note:
[3] C'est le nom d'un vieillard respectable de Jerusalem qui avait ete
averti par le Saint-Esprit qu'il ne mourrait point sans avoir vu le
Christ. Il se trouva au temple quand on y apporta Jesus pour le faire
circoncire, et prononca les paroles que Goethe met ici dans la bourbe
de Mittler. (_Note du Traducteur_.)
CHAPITRE IX.
Le printemps etait venu plus tard qu'a l'ordinaire, et la vegetation
se developpa avec une rapidite si merveilleuse, qu'Ottilie se trouva
amplement recompensee des soins qu'elle avait donnes aux jardins et
aux serres, car tout y verdissait et fleurissait a l'epoque voulue.
Les arbustes et les plantes caches depuis si longtemps derriere les
vitraux, s'epanouissaient sous l'influence exterieure de l'air auquel
on venait de les exposer; et tout ce qui restait encore a faire
n'etait plus un travail fonde sur de vagues esperances, mais un soin
plein de charmes, puisque le plaisir le suivait de si pres.
Ottilie cependant se voyait fort souvent reduite a consoler le
jardinier, car l'insatiabilite sauvage de
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