un vide affligeant dans les jardins, car cette absence produisait le
meme effet dans son coeur.
A mesure que les plantations et les greffes du Baron se developpaient
dans toute leur beaute, elles devenaient plus cheres a Ottilie; c'est
ainsi qu'elle les avait vues le jour de son arrivee au chateau. Elle
n'etait alors qu'une orpheline sans importance, combien n'avait-elle
pas gagne et perdu depuis cette epoque? Jamais elle ne s'etait sentie
ni aussi riche ni aussi pauvre. Le sentiment de son bonheur et celui
de sa misere se croisait sans cesse dans son ame, et l'agitaient au
point qu'elle ne pouvait retrouver un peu de calme qu'en s'attachant
avec passion a tout ce qui naguere avait occupe Edouard. Esperant
toujours qu'il ne tarderait pas a revenir, elle se flattait qu'il lui
saurait gre d'avoir pris soin, pendant son absence, des objets de ses
predilections.
Ce meme besoin de lui etre agreable la poussait a veiller jour et nuit
sur l'enfant qui venait de naitre. Elle seule preparait son lait et le
lui faisait boire, car Charlotte, n'ayant pu le nourrir, n'avait pas
voulu de nourrice; elle seule aussi le portait a l'air, afin de
lui faire respirer le parfum fortifiants des fleurs et des jeunes
feuilles. En promenant ainsi cette jeune creature endormie, et qui ne
vivait encore que de la vie des plantes, a travers les plantations
nouvelles qui devaient grandir avec lui, son imagination lui retracait
vivement toute l'etendue des richesses destinees a ce faible enfant;
car tout ce que ses regards pouvaient embrasser, devait lui appartenir
un jour. Alors son coeur lui disait que malgre tant de prosperite il
ne pourrait jamais etre completement heureux, s'il ne s'avancait pas
dans la vie sous la double direction de son pere et de sa mere, d'ou
elle arrivait naturellement a la triste conclusion, que le Ciel
n'avait fait naitre cet enfant que pour devenir le gage d'une union
nouvelle et desormais indissoluble entre Charlotte et son mari. Cette
conviction, eclose sous le ciel pur et le beau soleil du printemps,
lui apparaissait avec tant de force et de clarte, qu'elle comprit
la necessite de purifier son amour pour Edouard de toute esperance
personnelle. Parfois meme elle croyait que ce grand sacrifice etait
accompli, qu'elle avait renonce a son ami, et qu'elle se resignerait a
ne plus jamais le revoir, si a cette condition il pouvait retrouver
le repos et le bonheur; mais elle n'en persista pas moins dans la
resolution qu'el
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