see se balancaient a ses regards, l'espace
etroit du lac la separait seule de cette place et du sentier court et
commode qui, de la, conduisait a la maison d'ete. Deja ses regards
et sa pensee avaient passe l'eau, et la crainte de s'y hasarder avec
l'enfant disparut devant la crainte plus forte encore d'arriver trop
tard. S'avancant rapidement vers la nacelle, elle ne sentit point que
son coeur battait avec violence, que ses jambes tremblaient sous elle,
que ses sens etaient pres de l'abandonner.
D'un bond elle s'elanca vers la nacelle et saisit la rame. Pour mettre
a flot la legere embarcation, elle a besoin de toutes ses forces, et
renouvelle le coup de rame. La nacelle se balance et glisse en avant.
Tenant sur son bras et dans sa main gauche l'enfant et le livre, elle
agite la rame de la main droite, chancelle et tombe au fond du bateau.
La rame lui echappe et en cherchant a la retenir, elle laisse glisser
l'enfant et le livre, et tout tombe dans le lac. Par un mouvement
spontane elle saisit la robe de l'enfant, mais la position dans
laquelle elle est tombee l'empeche de se relever; la main droite, qui
seule est restee libre, ne lui suffit pas pour se retourner et se
redresser. Apres de longs et cruels efforts, elle y reussit enfin et
retire l'enfant de l'eau; ses yeux sont fermes, il ne respire plus!
En ce moment terrible, elle retrouva toute sa presence d'esprit, et sa
douleur n'en fut que plus cruelle. La nacelle etait arrivee presqu'au
milieu du lac, la rame flottait sur sa surface immobile, pas un
etre vivant ne paraissait sur le rivage: au reste, quels secours
aurait-elle pu attendre dans cette nacelle qui la balancait au milieu
d'un element inaccessible et perfide?
Ce n'etait qu'en elle-meme que la malheureuse Ottilie pouvait trouver
des ressources, elle avait souvent entendu parler des moyens par
lesquels on rappelait les noyes a la vie; elle les avait meme vu
appliquer a la suite du feu d'artifice par lequel Edouard avait
celebre l'anniversaire de sa naissance.
Encouragee par ces souvenirs, elle deshabille l'enfant, l'essuie avec
la robe de mousseline dont elle etait vetue, decouvre pour la premiere
fois a la face du ciel son chaste sein, y presse l'infortunee petite
creature dont le froid glacial engourdit son coeur. Les larmes
brulantes dont elle inonde les membres raides et immobiles de l'enfant
lui rendent quelque apparence de chaleur et de vie. Ivre de joie, elle
l'entoure de son schall, le couv
|