dit la puissance
assoupissante de l'habitude, puisque cette puissance lui avait fait
accepter pour futur le plus insignifiant des hommes. Enfin elle etait
completement metamorphosee. Avait-elle depasse l'avenir ou etait-elle
revenue sur le passe? On pourrait repondre affirmativement a l'une et
a l'autre de ces deux questions.
Lors meme qu'il eut ete possible de lire au fond de l'ame de cette
jeune fille, on n'aurait ose blamer son changement a l'egard de son
futur, car il etait tellement au-dessous du jeune officier, que la
comparaison ne pouvait que lui etre defavorable. Si l'on accordait
volontiers a l'un une certaine confiance, l'autre inspirait une
securite complete; si l'on aimait a associer l'un a tous les plaisirs
de la societe, on voyait dans l'autre un ami aussi sur qu'aimable;
et lorsqu'on se les figurait tous deux dans une de ces positions
serieuses et graves, qui font dependre le sort de toute une famille de
la resolution et de la sagesse d'un homme, on doutait de l'un, tandis
que l'on comptait sur l'autre comme sur un appui inebranlable. Les
femmes ont, pour sentir et pour juger ces sortes de differences, un
tact particulier que leur position sociale les met sans cesse dans la
necessite de developper et de perfectionner.
Personne ne songea a plaider la cause du futur aupres de sa belle
fiancee, ni a lui rappeler les devoirs que lui imposaient a son egard
les convenances de famille et de societe; car on ne supposait pas
qu'elle nourrissait un penchant oppose a ces devoirs. Son coeur
cependant se laissait aller a ce penchant en depit du lien qui
l'enchainait, et qu'elle avait sanctionne par un consentement positif
et volontaire. Elle ne se laissa pas meme decourager par le peu de
sympathie qu'elle rencontrait chez le jeune officier. Se conduisant en
frere bienveillant plutot que tendre, il lui fit voir que toutes
ses esperances se bornaient a avancer promptement dans la carriere
militaire, ce qui devait necessairement l'eloigner bientot et pour
toujours peut-etre. Il alla jusqu'a lui parler de ses projets et de
son prochain depart avec une tranquillite parfaite.
Ce prochain depart, surtout, alarma la jeune fille, et l'irritation
qui avait agite son enfance se reveilla chez elle avec ses ruses
malfaisantes et ses funestes emportements, pour causer des maux plus
grands sur un degre plus eleve de l'echelle de la vie. Afin de punir
de sa froide indifference l'homme qu'elle n'avait tant hai que pour
l'aimer
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