qu'il n'avait pas ete reellement coupable, et qu'il faudrait se taire
toujours si l'on ne voulait jamais rien dire qui put affecter l'une ou
l'autre des personnes devant lesquelles on parle; car les observations
les plus vulgaires peuvent reveiller des douleurs assoupies, blesser
des interets vivants.
--J'eviterai autant que possible, dit-il a son compagnon, toute
nouvelle meprise de ce genre, tachez de me seconder en racontant a
ces dames quelques-unes des charmantes anecdotes dont, pendant votre
voyage, vous avez enrichi votre portefeuille et votre memoire.
Ce louable dessein n'eut pas tout le succes que les deux etrangers en
avaient espere. Les dames ecouterent le narrateur avec beaucoup de
plaisir. Flatte de l'interet qu'elles prenaient a ses recits et a son
debit, il voulut achever de les charmer par une petite histoire aussi
singuliere que touchante. Comment aurait-il pu deviner qu'elles y
prendraient un interet personnel?
* * * * *
LES SINGULIERS ENFANTS DE VOISINS.
NOUVELLE.
Deux enfants nes de riches proprietaires dont les domaines se
touchaient, grandissaient ensemble sous les yeux de leurs parents qui,
pour resserrer les liens de bon voisinage, avaient forme le projet
de les unir un jour. Sous le rapport de l'age, de la fortune, de la
position sociale, ce mariage ne laissait rien a desirer; aussi les
parents le regardaient-ils deja comme une affaire irrevocablement
arretee. Bientot cependant ils furent forces de reconnaitre que
chaque jour augmentait l'antipathie instinctive qui separait ces
deux enfants, dont, sous tous les autres rapports, les dispositions
annoncaient les caracteres les plus heureux. Peut-etre se
ressemblaient-ils trop pour pouvoir vivre en paix ensemble. Chacun
d'eux ne s'appuyait que sur lui-meme, enoncait clairement sa volonte,
et y tenait avec une fermete inebranlable. Cheris, presque veneres par
tous leurs petits camarades pour lesquels ils avaient une affection
sincere, ils ne se montraient malveillants, emportes et querelleurs,
que lorsqu'ils se trouvaient en face l'un de l'autre. Les memes
desirs, les memes esperances les animaient sans cesse; mais an lieu
d'y tendre par une emulation salutaire, ils cherchaient a s'arracher
la victoire par une lutte opiniatre.
Cette disposition singuliere des deux enfants se trahissait surtout
dans leurs jeux. Le petit garcon, pousse par les penchants de son
sexe, organisait des batailles. Un jour l'
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