t peine qu'irrite. La contenance de la
jeune personne, debout devant lui, mais dont on ne voit pas le visage,
annonce qu'elle cherche a maitriser une vive emotion. La mere, temoin
de la reprimande, a l'air embarrassee; elle regarde au fond d'un verre
plein de vin blanc qu'elle tient a la main et dans lequel elle parait
boire a longs traits.
En choisissant la position de la fille reprimandee, Luciane savait
sans doute qu'elle lui fournirait l'occasion de faire ressortir tous
ses avantages. Il etait en effet impossible de voir quelque chose de
plus beau et de plus suave que les tresses de ses longs cheveux bruns,
que les contours de sa tete, de son cou, de ses epaules. Sa taille,
que les modes du jour cachaient et deguisaient si desagreablement,
se dessinait avec une grace parfaite sous ce costume du moyen-age.
L'Architecte avait eu soin de draper lui-meme les nombreux plis de sa
robe de satin blanc; et il ne put s'empecher de convenir que cette
copie vivante etait infiniment superieure a l'original jete sur la
toile par le pinceau d'un grand artiste. L'admiration qu'elle excita
fut telle qu'on ne cessa de faire relever le rideau. Le bonheur
qu'eprouvaient les spectateurs en contemplant cette belle personne qui
leur tournait le dos, devait necessairement faire naitre le desir de
voir son visage; mais personne n'osait exprimer ce desir. Tout a coup
un jeune gentilhomme, vif jusqu'a l'audace, prononca a haute voix
cette formule qu'on met parfois a la fin des pages: _Tournez, s'il
vous plait_! Tous les spectateurs la repeterent aussitot en choeur,
mais en vain. Les personnages du tableau connaissaient trop bien leurs
interets pour repondre a un appel aussi contraire a l'esprit et a la
nature de l'oeuvre d'art dont ils voulaient donner une juste idee. La
jeune fille resta immobile, le chevalier conserva l'attitude d'un pere
qui gronde doucement un enfant cheri, et la mere ne detourna point ses
regards du fond du verre dans lequel elle buvait toujours sans faire
diminuer le vin qu'il contenait.
Nous croyons pouvoir nous dispenser de donner le detail d'une foule
d'autres representations qui etaient presque toutes empruntees aux
delicieuses scenes de cabarets et de foires que nous devons aux
meilleurs peintres de l'ecole flamande.
Le Comte et la Baronne annoncerent enfin leur depart, en promettant
de venir passer au chateau les premieres semaines de leur mariage; et
Charlotte vit avec plaisir que Luciane et sa suite ne tar
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