curer a la campagne, et surtout au
milieu de l'hiver, ou les communications sont lentes et souvent meme
impossibles.
Tout retard etait antipathique a Luciane, aussi sacrifia-t-elle sans
hesiter tous les objets de sa garde-robe qui pouvaient servir pour
faire des draperies et des costumes tels que les exigeaient les
tableaux. L'Architecte s'occupa activement de la construction du
theatre et de la maniere de l'eclairer; le Comte le seconda de son
mieux, et lui donna souvent d'utiles et sages conseils.
Lorsque tout fut pret enfin, on reunit une societe nombreuse et
brillante qui, depuis longtemps deja, attendait avec impatience la
premiere representation.
Apres avoir prepare les spectateurs par une musique appropriee au
sujet du tableau de Belisaire, on leva le rideau. Les attitudes
etaient si justes, les couleurs si heureusement harmonisees, la
lumiere si savamment disposee, qu'on se croyait transporte dans un
autre monde. Au premier abord cependant, cette realite, mise ainsi a
la place d'une fiction artistique, avait quelque chose d'inquietant.
Le rideau retomba, mais les voeux unanimes des spectateurs le firent
relever plus d'une fois. Bientot la musique les occupa de nouveau, et
jusqu'au moment ou tout fut pret pour la representation d'un second
tableau d'un genre plus eleve. Ce tableau causa une surprise generale
et agreable, car c'etait la celebre Esther, du Poussin, devant
Assuerus. Dans le personnage de la reine a demi evanouie, Luciane
parut dans tout l'eclat de sa beaute et de ses graces. Les filles
qui la soutenaient etaient jolies, mais elle les avait si prudemment
choisies, qu'aucune ne pouvait lui porter ombrage. Il est inutile,
sans doute, d'ajouter qu'Ottilie fut toujours exclue par elle de
la representation de tous ces tableaux. L'homme le plus beau de la
societe, et le plus imposant en meme temps, avait ete charge d'occuper
le trone d'or du grand roi, si semblable a Jupiter; ce qui acheva de
donner a l'ensemble un cachet de perfection qui tenait du merveilleux.
La reprimande paternelle de Terburg, que la belle gravure de Wille a
rendue familiere a tous les amis des arts, etait le sujet du troisieme
tableau, aussi interessant dans son genre que les deux premiers.
Un vieux chevalier assis et les jambes croisees semble parler a sa
fille avec l'intention de toucher sa conscience. L'expression de ses
traits et de son attitude prouve, toutefois, qu'il ne lui dit rien
d'humiliant, et qu'il est pluto
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