les
plus delicats, comme si l'on pouvait juger le merite des formes
artistiques en les tatant. On dirait qu'elles ignorent qu'une grande
feuille de papier doit toujours etre soutenue par les deux extremites;
elles font circuler entre le pouce et 'index, les gravures, les
dessins les plus precieux, semblables a un politique presomptueux,
qui, en saisissant son journal, prononce d'avance, par le froissement
du papier, son jugement sur les evenements que rapporte ce journal.
En un mot, lorsque vingt curieux ont examine un objet d'art et
d'antiquite, le vingt-unieme ne peut plus y voir grand chose.
--Je vous ai sans doute cause moi-meme plus d'un chagrin, en
endommageant ainsi, sans le savoir, vos precieux tresors, que
j'admirais si sincerement?
--Jamais! s'ecria l'Architecte, non, jamais! le sentiment du juste et
du convenable est inne chez vous.
--Il n'en serait pas moins fort utile, repondit Ottilie en souriant,
d'ajouter, au traite de _la civilite puerile et honnete_, apres le
chapitre qui nous indique la maniere de nous conduire a table, un
chapitre indiquant, avec tous les details necessaires, comment on doit
examiner les collections des artistes.
--Et alors les artistes les montreraient avec plus d'empressement et
de plaisir, repondit gravement l'Architecte.
Ottilie avait depuis longtemps oublie ce petit demele, mais
l'Architecte cherchait toujours de nouvelles occasions pour se
justifier, et lui renouvelait sans cesse l'assurance qu'il aimait,
pardessus tout, a contribuer a l'amusement de ses amis. Cette
persistance lui prouva que ses reproches l'avaient blesse au coeur; se
croyant coupable, a son tour elle n'eut pas le courage de refuser la
faveur qu'il lui demanda avec beaucoup d'instance; et cependant un
sentiment intime l'avertissait qu'il lui serait difficile de tenir
l'engagement qu'elle venait de prendre.
Cette faveur concernait la representation des tableaux. L'Architecte
avait remarque avec chagrin qu'Ottilie en avait ete exclue par la
jalousie de Luciane, et que Charlotte n'avait vu que les premiers
essais, parce que des indispositions, naturelles dans son etat, la
retenaient fort souvent dans ses appartements. Aussi s'etait-il promis
de ne point quitter le chateau sans avoir donne une representation
de ce genre, superieure a toutes celles ou Luciane avait figure.
Il esperait ainsi procurer une distraction agreable a la tante,
et contraindre sa charmante niece a faire valoir, a son tour, les
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