t des visiteurs qui
inondait le chateau allait toujours en croissant; on avait tant parle
de la vie joyeuse qu'on y menait, que ces bruits attirerent les
officiers en garnison dans les environs. Les uns, aussi bien eleves
que bien nes augmenterent la satisfaction generale, tandis que les
autres causerent plus d'un desordre par leur manque d'usage et leur
grosse gaite.
Au milieu de ce mouvement perpetuel, le Comte et la Baronne arriverent
de la maniere la plus inattendue; leur presence convertit tout a
coup cette cohue bigarree en une veritable cour. Les hommes les plus
distingues par leur rang et leurs manieres se grouperent autour
du Comte, et la Baronne donna l'impulsion aux dames qui, toutes,
rendaient justice a son merite superieur.
On avait ete surpris d'abord de les voir arriver ensemble et
publiquement. L'air de satisfaction qui respirait sur leur visage
avait mis le comble a cette surprise. En apprenant que la femme du
Comte venait de mourir, et que, par consequent, il pouvait epouser
la Baronne des que les convenances sociales le lui permettraient, on
comprit leur gaite et on la partagea franchement.
Ottilie seule se rappela avec une vive douleur leur premiere visite,
et tout ce qui avait ete dit alors sur le mariage et le divorce, sur
le devoir et les penchants, sur les desirs et sur la resignation.
Ces deux amants dont, a cette epoque, rien encore n'autorisait les
esperances, se representaient devant elle, surs enfin de leur bonheur,
au moment meme ou tout lui imposait la loi de renoncer au sien. Il
etait donc bien naturel qu'elle ne put les revoir sans etouffer un
soupir et essuyer furtivement une larme de regret.
A peine Luciane eut-elle appris que le Comte aimait la musique,
qu'elle organisa des concerts, ou elle esperait briller par son chant
qu'elle accompagnait de la guitare, instrument dont elle se servait
avec art. Quant a sa voix, elle etait belle et bien cultivee; mais il
etait aussi impossible de comprendre les paroles qu'elle chantait que
celles de toutes les belles chanteuses allemandes qui font les delices
des salons. Un soir son triomphe fut trouble par un incident peu
flatteur pour son amour-propre.
Au nombre des auditeurs se trouvait un jeune poete qui, pour
l'instant, etait l'objet de ses preferences, parce qu'elle voulait le
mettre dans la necessite de composer des vers pour elle, et de les lui
dedier authentiquement. Pour hater ce resultat, elle avait pris le
parti de ne chante
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