--Regardez celui-ci, dit-elle, n'est-ce pas le veritable portrait de
mon oncle? Et cet autre? Ah! c'est le celebre marchand de nouveautes
M----. Voici le Cure S----. Et celui-la? Ne reconnaissez-vous pas
Monsieur ... Monsieur ... chose ...? En verite, les singes sont les vrais
_incroyables_[2] de la bonne societe; et je ne sais de quel droit on
se permet de les en exclure.
Et c'etait au milieu d'une bonne societe qu'elle parlait ainsi, sans
supposer la possibilite qu'elle pouvait blesser quelqu'un. On avait
commence par tant pardonner a ses graces et a son esprit, qu'on etait
arrive a tout pardonner a son impertinence.
Ce genre de plaisanterie avait peu d'attraits pour le futur, qui
s'entretenait dans un coin avec Ottilie sur le merite de l'Architecte,
dont la jeune fille attendait le retour avec impatience; car elle
esperait qu'il mettrait un terme a l'inconvenant babillage de Luciane
a l'occasion des singes. A son grand etonnement, il se fit encore
attendre longtemps, et lorsqu'il reparut, il se perdit dans la foule.
Non-seulement il n'avait point apporte ses dessins, mais il semblait
avoir oublie qu'on les lui avait demandes. Ottilie l'accusa
interieurement et avec chagrin du peu de cas qu'il faisait de sa
priere. Au reste, elle ne lui avait adresse cette priere que pour
procurer a son futur cousin une distraction agreable; car il etait
facile de voir que, malgre son amour sans bornes pour Luciane, il
souffrait parfois de ses extravagances.
Bientot les singes firent place a une splendide collation, a laquelle
succederent des danses animees. Puis il y eut un moment de causerie
paisible, et les jeux bruyants recommencerent de nouveau et se
prolongerent bien avant dans la nuit. Luciane, que le pensionnat avait
accoutumee a une vie reglee, s'etait promptement faconnee aux allures
du monde elegant et dissipe, et jamais elle ne pouvait ni se coucher
ni se lever assez tard.
Malgre les nombreuses occupations dont elle etait surchargee, Ottilie
ne negligea point son journal; elle n'y inscrivit cependant pas des
evenements, mais des pensees et des maximes que nous n'osons pas lui
attribuer. Il est probable qu'elle les puisa dans un livre qu'on lui
avait prete, et dont elle s'appropria tout ce qui portait le cachet de
son caractere; car on y retrouve toujours le fil rouge des cordages de
la marine royale d'Angleterre.
* * * * *
EXTRAIT DU JOURNAL D'OTTILIE.
"Nous aimons a regard
|