infatigable, tandis que Luciane n'en parlait jamais qu'avec une
amertume dedaigneuse. Pour la convaincre du merite de cette jeune
fille, on lui apprit qu'elle etendait ses soins jusque sur les jardins
et sur les serres, et des le lendemain Luciane se plaignit de la
rarete des fleurs et des fruits, comme si elle avait oublie que l'on
etait au milieu de l'hiver. Elle poussa meme la malice jusqu'a faire
enlever chaque jour, sous pretexte d'orner les appartements et les
tables, les fleurs en boutons et les branches vertes des arbres, afin
de detruire ainsi, pour toute la saison prochaine, les esperances
d'Ottilie et du jardinier dont elle secondait les intelligents
travaux.
Persuadee que la pauvre enfant ne pouvait se mouvoir a son aise que
dans le cercle domestique, Luciane l'en arracha malgre elle, tantot
pour aller aux assemblees ou aux bals du voisinage, tantot pour
grossir le cortege de ses promenades en traineau et a cheval,
a travers la neige, la glace et la tempete. En vain Ottilie
chercha-t-elle a lui faire comprendre que ses devoirs de menagere la
retenaient a la maison, et que sa sante etait trop delicate pour un
pareil genre de vie, Luciane avait pour principe que tout ce qui lui
convenait ne devait gener ni incommoder personne.
Bientot cependant elle eut lieu de se repentir de ce despotisme; car
Ottilie, quoique toujours la moins paree, etait, aux yeux des hommes
du moins, la plus belle. Sa melancolie pensive les attirait, et sa
douceur inalterable les fixait. Le futur lui-meme subissait, sans le
savoir, cette fascination; il aimait a s'entretenir avec elle, et a la
consulter sur un projet qui le preoccupait fortement.
L'Architecte S'etait decide enfin a lui montrer ses dessins et sa
collection d'objets d'antiquite, il consentit meme a lui faire voir
les travaux qu'il avait executes dans les domaines du Baron, ainsi
que les restaurations et les peintures de l'eglise et de la chapelle.
Cette complaisance eut le resultat qu'elle ne pouvait manquer d'avoir:
le futur de Luciane concut une haute idee du talent et du caractere de
l'Architecte.
Riche, et amateur passionne des arts, ce jeune seigneur etait assez
sage pour sentir qu'il perdrait son temps et son argent, s'il suivait
au hasard le penchant qui le poussait a faire batir et a reunir des
objets curieux. La direction d'un homme prudent et experimente lui
etait indispensable, et personne ne pouvait mieux remplir son but que
l'Architecte, dont il venait
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