revinrent a Stamboul par la grande rue de Pera, acclamant sur
leur passage lord Salisbury (qui devait bientot devenir si impopulaire),
l'ambassade britannique et celle de France.
--Nos ancetres, disaient les hodjas haranguant la foule, nos ancetres,
qui n'etaient que quelques centaines d'hommes, ont conquis ce pays, il y
a quatre siecles! Nous qui sommes plusieurs centaines de mille, le
laisserons-nous envahir par l'etranger? Mourons tous, musulmans et
chretiens, mourons pour la patrie ottomane, plutot que d'accepter des
conditions deshonorantes ...
XIX
La mosquee du sultan Mehmed-fatih (Mehmed le conquerant) nous voit
souvent assis, Achmet et moi, devant ses grands portiques de pierres
grises, etendus tous deux au soleil et sans souci de la vie, poursuivant
quelque reve indecis, intraduisible en aucune langue humaine.
La place de Mehmed-fatih occupe, tout en haut du vieux Stamboul, de
grands espaces ou circulent des promeneurs en cafetans de cachemire,
coiffes de larges turbans blancs. La mosquee qui s'eleve au centre est
une des plus vastes de Constantinople et aussi une des plus venerees.
L'immense place est entouree de murailles mysterieuses, que surmontent
des files de domes de pierres, semblables a des alignements de ruches
d'abeilles; ce sont des demeures de softas, ou les infideles ne sont
point admis.
Ce quartier est le centre d'un mouvement tout oriental; les chameaux le
traversent de leur pas tranquille en faisant tinter leurs clochettes
monotones; les derviches viennent s'y asseoir pour deviser des choses
saintes, et rien n'y est encore arrive d'Occident.
XX
Pres de cette place est une rue sombre et sans passants, ou pousse
l'herbe verte et la mousse. La est la demeure d'Aziyade; la est le
secret du charme de ce lieu. Les longues journees ou je suis prive de sa
presence, je les passe la, moins loin d'elle, ignore de tous et a l'abri
de tous les soupcons.
XXI
Aziyade est plus souvent silencieuse, et ses yeux sont plus tristes.
--Qu'as-tu, Loti, dit-elle, et pourquoi es-tu toujours sombre? C'est
a moi de l'etre, puisque, quand tu seras parti, je vais mourir.
Et elle fixa ses yeux sur les miens avec tant de penetration et de
persistance, que je detournai la tete sous ce regard.
--Moi, dis-je, ma cherie! Je ne me plains de rien quand tu es la, et
je suis plus heureux qu'un roi.
--En effet, qui est plus aime que toi, Loti? et qui pourrais-tu bien
envier? En
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