enir! Je suis plus fait pour cette vie que pour la mienne; j'ai
horreur de tout travail qui n'est pas du corps et des muscles; horreur
de toute science; haine de tous les devoirs conventionnels, de toutes
les obligations sociales de nos pays d'Occident.
Etre batelier en veste doree, quelque part au sud de la Turquie, la ou
le ciel est toujours pur et le soleil toujours chaud ...
Ce serait possible, apres tout, et je serais la moins malheureux
qu'ailleurs.
--Je te jure, Aziyade, dis-je, que je laisserais tout sans regret, ma
position, mon nom et mon pays. Mes amis ... je n'en ai pas et je m'en
moque! Mais, vois-tu, j'ai une vieille mere.
Aziyade ne dit plus rien pour me retenir, bien qu'elle ait compris
peut-etre que cela ne serait pas tout a fait impossible; mais elle sent
par intuition ce que cela doit etre qu'une vieille mere, elle, la pauvre
petite qui n'en a jamais eu; et les idees qu'elle a sur la generosite et
le sacrifice ont plus de prix chez elle que chez d'autres, parce
qu'elles lui sont venues toutes seules, et que personne ne s'est
inquiete de les lui donner.
XXIII
DE PLUMKETT A LOTI
Liverpool, 1876.
Mon cher Loti,
Figaro etait un homme de genie: il riait si souvent, qu'il n'avait
jamais le temps de pleurer.--Sa devise est la meilleure de toutes, et
je le sais si bien, que je m'efforce de la mettre en pratique et y
arrive tant bien que mal.
Malheureusement, il m'est fort difficile de rester trop longtemps le
meme individu. Trop souvent, la gaiete de Figaro m'abandonne, et c'est
alors Jeremie, prophete de malheur, ou David, auguste desespere sur
lequel la main celeste s'est appesantie, qui s'empare de moi et me
possede. Je ne parle pas, je crie, je rugis! Je n'ecris pas, je ne
pourrais que briser ma plume et renverser mon encrier. Je me promene a
grands pas en montrant le poing a un etre imaginaire, a un bouc
emissaire ideal, auquel je rapporte toutes mes douleurs; je commets
toutes les extravagances possibles: je me livre a huis clos aux actes
les plus insenses, apres quoi, soulage ou plutot fatigue, je me calme et
deviens raisonnable.
Vous allez me repeter encore que je suis un drole de type; un fou, que
sais-je? a quoi je repondrai: " Oui mais bien moins que vous ne
croyez. Bien moins que vous, par exemple."
Avant de porter un jugement sur moi, encore faudrait-il me connaitre, me
comprendre un peu et savoir quelles circonstances ont pu faire d'un
individu, ne raisonnabl
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