n sorte d'avoir toujours un petit
coin de vous-meme que vous ne laissiez pas envahir par le mal: ce petit
coin sera votre boite a medicaments.--_Amen_!
PLUMKETT.
Parlez-moi de Stamboul, du Bosphore, des pachas a trois queues, etc. Je
baise les mains de vos odalisques et suis votre affectionne.
PLUMKETT.
XLI
LOTI A PLUMKETT
Vous avais-je dit, mon cher ami, que j'etais malheureux? Je ne le crois
pas, et assurement, si je vous ai dit cela, j'ai du me tromper. Je
rentrais ce soir chez moi en me disant, au contraire, que j'etais un des
heureux de ce monde, et que ce monde aussi etait bien beau. Je rentrais
a cheval par une belle apres-midi de janvier; le soleil couchant dorait
les cypres noirs, les vieilles murailles crenelees de Stamboul, et le
toit de ma case ignoree, ou Aziyade m'attendait.
Un brasier rechauffait ma chambre, tres parfumee d'essence de roses. Je
tirai le verrou de ma porte et m'assis les jambes croisees, position
dont vous ignorez le charme. Mon domestique Achmet prepara deux
narguilhes, l'un pour moi, l'autre pour lui-meme, et posa a mes pieds un
plateau de cuivre ou brulait une pastille du serail.
Aziyade entonna d'une voix grave la chanson des djinns, en frappant sur
un tambour charge de paillettes de metal; la fumee se mit a decrire dans
l'air ses spirales bleuatres, et peu a peu je perdis conscience de la
vie, de la triste vie humaine, en contemplant ces trois visages amis et
aimables a regarder: ma maitresse, mon domestique et mon chat.
Point d'intrus d'ailleurs, point de visiteurs inattendus ou deplaisants.
Si quelques Turcs me visitent discretement quand je les y invite, mes
amis ignorent absolument le chemin de ma demeure, et des treillages de
frene gardent si fidelement mes fenetres qu'a aucun moment du jour un
regard curieux n'y saurait penetrer.
Les Orientaux, mon cher ami, savent seuls _etre chez eux_; dans vos
logis d'Europe, ouverts a tous venants, vous etes chez vous comme on est
ici dans la rue, en butte a l'espionnage des amis facheux et des
indiscrets; vous ne connaissez point cette inviolabilite de l'interieur,
ni le charme de ce mystere.
Je suis heureux, Plumkett; je retire toutes les lamentations que j'ai
ete assez ridicule pour vous envoyer ... Et pourtant je souffre encore de
tout ce qui a ete brise dans mon coeur: je sens que l'heure presente
n'est qu'un repit de ma destinee, que quelque chose de funebre plane
toujours sur l'avenir, que le bonheur d
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