nt la fievre et
m'emportaient vers cet inconnu plein d'enivrements. Je songeais avec
angoisse qu'en effet, si elle ne voulait plus me revoir, une fois
retranchee derriere les murs du harem, elle etait a tout jamais perdue,
et qu'aucune puissance humaine ne saurait plus me la rendre. J'entendis
avec un indicible serrement de coeur la porte de la maison se refermer
sur eux. Mais la pensee de cette creature qui allait venir brulait mon
sang: je restai la, et je ne les rappelai pas.
XLVI
Le lendemain soir, ma case etait paree et parfumee, pour recevoir la
grande dame qui avait desire faire, en tout bien tout honneur, une
visite a mon logis solitaire. La belle Seniha arriva tres
mysterieusement sur le coup de huit heures, heure indue pour Stamboul.
Elle enleva son voile et le _feredje_ de laine grise qui, par prudence,
la couvrait comme une femme du peuple, et laissa tomber la traine d'une
toilette francaise dont la vue ne me charma pas. Cette toilette, d'un
gout douteux, plus couteuse que moderne, allait mal a Seniha, qui s'en
apercut. Ayant manque son effet, elle s'assit cependant avec aisance et
parla avec volubilite. Sa voix etait sans charme et ses yeux se
promenaient avec curiosite sur ma chambre, dont elle louait tres fort le
bon air et l'originalite. Elle insistait surtout sur l'etrangete de ma
vie, et me posait sans reserve une foule de questions auxquelles
j'evitais de repondre.
Et je regardais Seniha-hanum ...
C'etait une bien splendide creature, aux chairs fraiches et veloutees,
aux levres entr'ouvertes, rouges et humides. Elle portait la tete en
arriere, haute et fiere, avec la conscience de sa beaute souveraine.
L'ardente volupte se pamait dans le sourire de cette bouche, dans le
mouvement lent de ces yeux noirs, a moitie caches sous la frange de
leurs cils. J'en avais rarement vu de plus belle, la, pres de moi,
attendant mon bon plaisir, dans la tiede solitude d'une chambre
parfumee; et cependant il se livrait en moi-meme une lutte inattendue;
mes sens se debattaient contre ce quelque chose de moins defini qu'on
est convenu d'appeler l'ame, et l'ame se debattait contre les sens.
A ce moment, j'adorais la chere petite que j'avais chassee; mon coeur
debordait pour elle de tendresse et de remords. La belle creature assise
pres de moi m'inspirait plus de degout que d'amour; je l'avais desiree,
elle etait venue; il ne tenait plus qu'a moi de l'avoir; je n'en
demandais pas davantage et sa presen
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