ulies et de peaux de lapin; de porte en porte, nous
demandions un certain vieux Dimitraki, que nous finimes par trouver, au
fond d'un bouge inenarrable.
C'etait un vieux Grec en haillons, a barbe blanche, a mine de bandit.
Achmet lui presenta un papier sur lequel etait calligraphie le nom
d'Aziyade, et lui tint, dans la langue d'Homere, un long discours que je
ne compris pas.
Le vieux tira d'un coffre sordide une maniere de trousse pleine de
petits stylets, parmi lesquels il parut choisir les plus affiles,
preparatifs peu rassurants!
Il dit a Achmet ces mots, que mes souvenirs classiques me permirent
cependant de comprendre:
--Montrez-moi la place.
Et Achmet, ouvrant ma chemise, posa le doigt du cote gauche, sur
l'emplacement du coeur ...
LVIII
L'operation s'acheva sans grande souffrance, et Achmet remit a l'artiste
un papier-monnaie de dix piastres, provenant de la bourse d'Aziyade.
Le vieux Dimitraki exercait l'invraisemblable metier de tatoueur pour
marins grecs. Il avait une legerete de touche, et une surete de dessin
tres remarquables.
Et j'emportais sur ma poitrine une petite plaque endolorie, rouge,
labouree de milliers d'egratignures--qui, en se cicatrisant ensuite,
representerent en beau bleu le nom turc d'Aziyade.
Suivant la croyance musulmane, ce tatouage, comme toute autre marque ou
defaut de mon corps terrestre, devait me suivre dans l'eternite.
LIX
LOTI A PLUMKETT
Fevrier 1877.
Oh! la belle nuit qu'il faisait ... Plumkett, comme Stamboul etait beau!
A huit heures, j'avais quitte le _Deerhound_.
Quand, apres avoir marche bien longtemps, j'arrivai a Galata, j'entrai
chez leur " madame " prendre en passant mon ami Achmet, et tous deux
nous nous acheminames vers Azar-kapou, par de solitaires quartiers
musulmans.
La, Plumkett, deux chemins se presentent a nous chaque soir, entre
lesquels nous devons choisir pour rejoindre Eyoub.
Traverser le grand pont de bateau qui mene a Stamboul, s'en aller a pied
par le Phanar, Balate et les cimetieres, est une route directe et
originale; mais c'est aussi, la nuit, une route dangereuse que nous
n'entreprenons guere qu'a trois, quand nous avons avec nous notre fidele
Samuel.
Ce soir-la, nous avions pris un caique au pont de Kara-Keui, pour nous
rendre par mer tranquillement a domicile.
Pas un souffle dans l'air, pas un mouvement sur l'eau, pas un bruit!
Stamboul etait enveloppe d'un immense suaire de neige.
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