ont cru, depuis des
milliers d'annees que les generations passent, combien qui se sont aimes
et qui, tout illumines d'espoir, se sont endormis confiants, au mirage
trompeur de la mort! Helas! dans vingt ans, dans dix ans peut-etre, ou
serons-nous, pauvre Aziyade? Couches en terre, deux debris ignores, des
centaines de lieues sans doute separeront nos tombes,--et qui se
souviendra encore que nous nous sommes aimes?
Un temps viendra ou, de tout ce reve d'amour, rien ne restera plus. Un
temps viendra ou nous serons perdus tous deux dans la nuit profonde, ou
rien ne survivra de nous-memes, ou tout s'effacera, tout jusqu'a nos
noms ecrits sur nos pierres.
Les petites filles circassiennes viendront toujours de leurs montagnes
dans les harems de Constantinople. La chanson triste du muezzin
retentira toujours dans le silence des matinees d'hiver,--seulement,
elle ne nous reveillera plus!
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LXI
Le voyage a Angora, capitale des chats, etait depuis longtemps en
question.
J'obtiens de mes chefs l'autorisation de partir (permission de dix
jours), a la condition que je ne me mettrai la-bas dans aucune espece de
mauvais cas pouvant necessiter l'intervention de mon ambassade.
La bande s'organise a Scutari par un temps sans nuage; les derviches
Riza-effendi, Mahmoud-effendi, et plusieurs amis de Stamboul sont de
l'expedition; il y a aussi des dames turques, des domestiques et un
grand nombre de bagages. La caravane pittoresque defile au soleil, dans
la longue avenue de cypres qui traverse les grands cimetieres de
Scutari. Le site est la d'une majeste funebre; on a, de ces hauteurs,
une incomparable vue de Stamboul.
LXII
La neige retarde de plus en plus notre marche, a mesure que nous nous
enfoncons plus avant dans les montagnes. Impossible d'atteindre avant
deux semaines la capitale des chats.
Apres trois jours de marche, je me decide a dire adieu a mes compagnons
de route; je tourne au sud avec Achmet et deux chevaux choisis, pour
visiter Nicomedie et Nicee, les vieilles villes de l'antiquite
chretienne.
J'emporte de cette premiere partie du voyage le souvenir d'une nature
ombreuse et sauvage, de fraiches fontaines, de profondes vallees,
tapissees de chenes verts, de fusains et de rhododendrons en fleurs,
le tout par un beau temps d'hiver, et legerement saupoudre de neige.
Nous couchons dans des _hane_, dans des bouges sans nom.
Celui de Mudurlu est de tous le plus remarq
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