tres preoccupe de
choses nullement agreables; que j'etais empoigne par dame Realite,
etreinte dont il est fort dur de se debarrasser; que je languissais
assez tristement au milieu de messieurs maritimes et coloniaux; que les
liens sympathiques, les affinites mysterieuses qui, en certains moments,
m'unissent si etroitement avec tout ce qui est aimable et beau, etaient
rompus.
Je suis sur que vous comprenez tres bien ceci, car c'est la l'etat dans
lequel je vous ai vu plus d'une fois plonge.
Votre nature ressemble beaucoup a la mienne, ce qui m'explique fort bien
la tres grande sympathie que j'ai ressentie pour vous presque de prime
abord.--Axiome: Ce que l'on aime le mieux chez les autres, c'est
soi-meme. Lorsque je rencontre un autre moi-meme, il y a chez moi
accroissement de forces; il semblerait que les forces pareilles de l'un
et l'autre s'ajoutent et que la sympathie ne soit que le desir, la
tendance vers cet accroissement de forces qui, pour moi, est synonyme de
bonheur. Si vous le voulez bien, j'intitulerai ceci: le _grand paradoxe
sympathique_.
Je vous parle un langage peu litteraire. Je m'en apercois bien:
j'emploie un vocabulaire emprunte a la dynamique et fort different de
celui de nos bons auteurs; mais il rend bien ma pensee.
Ces sympathies, nous les eprouvons d'une foule de manieres differentes.
Vous qui etes musicien, vous les avez ressenties a l'egard de quoi, s'il
vous plait? Qu'est-ce qu'un son? Tout simplement une sensation qui
nait en nous a l'occasion d'un mouvement vibratoire transmis par l'air a
notre tympan et de la a notre nerf acoustique. Que se passe-t-il dans
notre cervelle? Voyez donc ce phenomene bizarre: vous etes
impressionne par une suite de sons, vous entendez une phrase melodique
qui vous plait. Pourquoi vous plait-elle? Parce que les intervalles
musicaux dont la suite la compose, autrement dit les rapports des
nombres de vibrations du corps sonore, sont exprimes par certains
chiffres plutot que par certains autres; changez ces chiffres, votre
sympathie n'est plus excitee; vous dites, vous, que cela n'est plus
musical, que c'est une suite de sons incoherents. Plusieurs sons
simultanes se font entendre, vous recevez une impression qui sera
heureuse ou douloureuse: affaire de rapports chiffres, qui sont les
rapports sympathiques d'un phenomene exterieur avec vous-meme, etre
sensitif.
Il y a de veritables affinites, entre vous et certaines suites de sons,
entre vous et certain
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