onstance, et la fusillade commence a Stamboul. De toutes les
fenetres, de tous les toits, on tire des coups de fusil a la lune, dans
le but d'obtenir une heureuse solution de l'effrayant phenomene.
Nous prenons un caique au Phanar pour rejoindre notre logis; on nous
arrete en route. A mi-chemin de la Corne d'or, le canot des Zapties nous
barre le passage: une nuit d'eclipse, se promener en caique est
interdit.
Nous ne pouvons cependant pas coucher dans la rue. Nous parlementons,
nous discutons, le prenant de tres haut avec MM. les Zapties, et, une
fois encore, en payant d'audace nous nous tirons d'affaire.
Nous arrivons a la case, ou Aziyade nous attend dans la consternation et
la terreur.
Les chiens hurlent a la lune d'une facon lamentable, qui complique
encore la situation.
D'un air mystique, Achmet et Aziyade m'apprennent que ces chiens hurlent
ainsi pour demander a Allah un certain pain mysterieux qui leur est
dispense dans certaines circonstances solennelles,--et que les hommes
ne peuvent voir.
L'eclipse continue sa marche, malgre la fusillade; le disque entier est
meme d'une nuance rouge extraordinairement prononcee,--coloration due
a un etat particulier de l'atmosphere.
J'essaye l'explication du phenomene au moyen d'une bougie, d'une orange
et d'un miroir, vieux procede d'ecole.
J'epuise ma logique, et mes eleves ne comprennent pas; devant cette
hypothese tout a fait inadmissible que la terre est ronde, Aziyade
s'assied avec dignite, et refuse absolument de me prendre au serieux. Je
me fais l'effet d'un pedagogue, image horrible! et je suis pris de fou
rire; je mange l'orange et j'abandonne ma demonstration ...
A quoi bon du reste cette sotte science, et pourquoi leur oterais-je la
superstition qui les rend plus charmants?
Et nous voila, nous aussi, tirant tous les trois des coups de fusil par
la fenetre, a la lune qui continue de faire la-haut un effet sanglant,
au milieu des etoiles brillantes, dans le plus radieux de tous les ciels!
XXVII
Vers onze heures, Achmet nous eveille pour nous annoncer que le
traitement a reussi; la lune est _eyu yapilmich_ (guerie).
En effet, la lune, tout a fait retablie, brillait comme une splendide
lampe bleue dans le beau ciel d'Orient.
XXVIII
"Ma mere Behidje " est une tres extraordinaire vieille femme,
octogenaire et infirme,--fille et veuve de pacha,--plus musulmane que
le Koran, et plus raide que la loi du Cheri.
Feu Chefke
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