les babouches
condamnees.
Tombera-t-elle dans l'eau, la papoutch, ou sur la vase, ou bien encore
sur la tete d'un chat en maraude?
Le bruit de sa chute dans le silence profond indiquait lequel de nous
deux avait devine juste, et gagne le pari.
Il faisait bon etre la-haut, si seuls chez nous, si loin des humains, si
tranquilles, souvent pietinant sur une blanche couche de neige, et
dominant le vieux Stamboul endormi. Nous etions prives, nous, de jouir
ensemble de la lumiere du jour dont jouissent tant d'autres qui s'en
vont ensemble, bras dessus bras dessous au grand soleil, sans apprecier
leur bonheur. La-haut etait notre lieu de promenade; la, nous allions
respirer l'air pur et vif des belles nuits d'hiver, en societe de la
lune, compagne discrete qui tantot s'abaissait lentement a l'ouest sur
les pays des infideles, tantot se levait toute rouge a l'orient,
dessinant la silhouette lointaine de Scutari ou de Pera.
XXXVII
Est-ce la fin, Seigneur, ou le commencement?
(VICTOR HUGO, _Chants du crepuscule_.)
L'animation est grande sur le Bosphore. Les transports arrivent et
partent, charges de soldats qui s'en vont en guerre. Il en vient de
partout, des soldats et des redifs, du fond de l'Asie, des frontieres de
Perse, meme de l'Arabie et de l'Egypte. On les equipe a la hate pour les
expedier sur le Danube, ou dans les camps de la Georgie. De bruyantes
fanfares, des cris terribles en l'honneur d'Allah, saluent chaque jour
leur depart. La Turquie ne s'etait jamais vu tant d'hommes sous les
armes, tant d'hommes si decides et si braves. Allah sait ce que
deviendront ces multitudes!
XXXVIII
Eyoub, 29 janvier 1877.
Je n'aurais pas pardonne aux Excellences leurs pasquinades
diplomatiques, si elles avaient derange ma vie.
Je suis heureux de me retrouver dans cette petite case perdue, qu'un
instant j'avais eu peur de quitter.
Il est minuit, la lune promene sur mon papier sa lumiere bleue, et les
coqs ont commence leur chanson nocturne. On est bien loin de ses
semblables a Eyoub, bien isole la nuit, mais aussi bien paisible. J'ai
peine a croire, souvent, que Arif-Effendi, c'est moi; mais je suis si
las de moi-meme, depuis vingt-sept ans que je me connais, que j'aime
assez pouvoir me prendre un peu pour un autre.
Aziyade est en Asie; elle est en visite, avec son harem, dans un harem
d'Ismidt, et me reviendra dans cinq jours.
Samuel est la pres de moi, qui dort par terre, d'un s
|