auvre Marthe comme une
fleche empoisonnee. Elle ne s'attendait pas a le voir ce soir-la; elle
croyait le danger passe pour un jour; elle se sentit defaillir en lui
abandonnant sa main tremblante, qu'il garda dans les siennes jusqu'a ce
qu'Eugenie eut apporte la lampe.
Il s'assit en face d'elle, ne la quitta pas des yeux, et, tandis que
j'ecrivais dans une chambre voisine, la porte entr'ouverte, et que les
femmes travaillaient autour de la table, il fit la conversation avec
autant de gout et d'elegance que s'il eut ete dans le salon de la
vicomtesse de Chailly. Je n'avais pas le loisir de l'ecouter; seulement
j'entendais sa voix montee sur son diapason le plus sonore et le plus
recherche. Eugenie me dit, le soir, que jamais elle ne l'avait vu aussi
aimable, aussi coquet d'esprit que de langage, aussi pres du naturel et
de la bonhomie qu'il le fut pendant pres de deux heures.
Marthe n'osait ni parler ni respirer; Eugenie ne se pretait pas a
soutenir la conversation, ne voulant pas faire briller son adversaire.
Louison, toute radoucie, faisait seule l'office d'interlocuteur. Elle
procedait toujours par questions; et, quelque niaises et hors de sens
qu'elle les fit, Horace y repondait avec le charme d'une condescendance
ingenieuse, et trouvait pour elle les explications les plus enjouees,
parfois meme les plus poetiques, comme celles qu'on donne aux enfants
quand on les aime et qu'on veut se mettre a leur portee sans cesser
d'etre vrai.
Quoique Eugenie mit en oeuvre toutes les ressources de son esprit pour
l'interrompre, l'embrouiller et meme le renvoyer, elle n'y reussit pas;
et Marthe fut sous le charme, sans que rien put l'en preserver. Penchee
sur son ouvrage, le sein oppresse, l'oeil voile, elle hasardait
parfois un regard timide; et rencontrant toujours celui d'Horace, elle
detournait bien vue le sien avec une confusion pleine d'effroi et de
delices.
C'etait, je l'ai deja dit, la premiere fois que Marthe etait recherchee
par une intelligence. La sienne, oisive et seule, dans une secrete et
continuelle exaltation, avait renonce a cet amour de l'ame que personne
n'avait su lui exprimer. Le pauvre Arsene n'avait jamais ose, jamais pu
parler que d'amitie. Sa personne n'avait aucune seduction, son langage
aucune poesie, ou du moins aucun art. Les autres amours que Marthe avait
inspires etaient des fantaisies impertinentes qu'elle avait reprimees,
ou des passions brutales qui l'avaient effrayee. Depuis le jour ou
H
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