voudrait ce commandant
de vingt-un ans; l'on desirait surtout le separer de Washington. La
Fayette fut prudent et jugea la situation: comme on n'avait dispose
aucun moyen, l'expedition manqua, ne se commenca point; mais La Fayette
souffrit de tant de bruit pour rien; il craignait la risee, ecrit-il
a Washington: "J'avoue, mon cher general, que je ne puis maitriser la
vivacite de mes sentiments, des que ma reputation et ma gloire sont
touchees. Il est vraiment bien dur que cette portion de mon bonheur,
_sans laquelle je ne puis vivre_, se trouve dependre de projets que j'ai
connus seulement lorsqu'il n'etait plus temps de les executer. Je vous
assure, mon ami cher et venere, que je suis plus malheureux que je
ne l'ai jamais ete." Nous saisissons l'aveu: La Fayette, avant tout,
possede a un haut degre l'amour de l'estime, le besoin de l'approbation,
le respect de soi-meme; ce qui est bien a lui, c'est, dans cette affaire
du Canada et dans plusieurs autres, d'avoir sacrifie son desir de noble
gloire personnelle a un sentiment d'interet public. Pourtant on
decouvre en ce point la raison pour laquelle La Fayette n'etait pas un
_gouvernant_ et n'aurait pas eu cette capacite. Il etait une nature trop
individuelle, trop chevaleresque pour cela; occupe sans doute de la
chose publique, mais aussi de sa ligne, a lui, a travers cette chose.
Nous l'en louons plus que nous ne l'en blamons. Il n'y a pas trop
d'hommes publics qui aient ce defaut-la, de penser constamment a l'unite
et a la purete de leur ligne.
Washington, le sage et le clairvoyant, comprend bien que c'est la
l'endroit sensible et faible de son cher eleve; il le rassure, en nous
confirmant l'honorable source du mal: "Je m'empresse de dissiper toutes
vos inquietudes; elles viennent d'une sensibilite peu commune pour tout
ce qui touche votre reputation." Pareil debat se renouvelle en diverses
circonstances. Lorsque l'escadre francaise sous d'Estaing, apres avoir
brillamment paru a Rhode-Island, fut contrainte, apres un combat et un
orage, de se retirer sans plus de tentative, il y eut grande colere dans
le peuple de Boston et parmi les milices. Le mot de _trahison_, si cher
aux masses emues, circulait; un general americain, Sullivan, cedant a la
passion, mit a l'ordre du jour que les _allies les avaient abandonnes_.
La Fayette, dans cette position delicate, se conduisit a merveille; il
exigea de Sullivan que l'ordre du matin fut retracte dans celui du soir;
il ne souffr
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