lle: depuis
plusieurs jours les habitants ne mangent que de la terre."
Andry fut petrifie.
-- La demoiselle t'a vu du parapet avec les autres Zaporogues.
Elle m'a dit: "Va, dis au chevalier, s'il se souvient de moi,
qu'il vienne me trouver; sinon, qu'il te donne au moins un morceau
de pain pour ma vieille mere, car je ne veux pas la voir mourir
sous mes yeux. Prie-le, embrasse ses genoux; il a aussi une
vieille mere; qu'il te donne du pain pour l'amour d'elle."
Une foule de sentiments divers s'eveillerent dans le coeur du
jeune Cosaque.
-- Mais comment as-tu pu venir ici?
-- Par un passage souterrain.
-- Y a-t-il donc un passage souterrain?
-- Oui.
-- Ou?
-- Tu ne nous trahiras pas, chevalier?
-- Non, je le jure sur la Sainte Croix.
-- En descendant le ravin, et en traversant le ruisseau a la place
ou croissent des joncs.
-- Et ce passage aboutit dans la ville?
-- Tout droit au monastere.
-- Allons, allons sur-le-champ.
-- Mais, au nom du Christ et de sa sainte mere, un morceau de
pain.
-- Bien, je vais t'en apporter. Tiens-toi pres du chariot, ou
plutot couche-toi dessus. Personne ne te verra, tous dorment. Je
reviens a l'instant.
Et il se dirigea vers les chariots ou se trouvaient les provisions
de son _kouren_. Le coeur lui battait avec violence. Tout ce
qu'avait efface sa vie rude et guerriere de Cosaque, tout le passe
renaquit aussitot, et le present s'evanouit a son tour. Alors
reparut a la surface de sa memoire une image de femme avec ses
beaux bras, sa bouche souriante, ses epaisses nattes de cheveux.
Non, cette image n'avait jamais disparu pleinement de son ame;
mais elle avait laisse place a d'autres pensees plus males, et
souvent encore elle troublait le sommeil du jeune Cosaque.
Il marchait, et ses battements de coeur devenaient de plus en plus
forts a l'idee qu'il la verrait bientot, et ses genoux tremblaient
sous lui. Arrive pres des chariots, il oublia pourquoi il etait
venu, et se passa la main sur le front en cherchant a se rappeler
ce qui l'amenait. Tout a coup il tressaillit, plein d'epouvante a
l'idee qu'elle se mourait de faim. Il s'empara de plusieurs pains
noirs; mais la reflexion lui rappela que cette nourriture, bonne
pour un Zaporogue, serait pour elle trop grossiere. Il se souvint
alors que, la veille, le _kochevoi_ avait reproche aux cuisiniers
de l'armee d'avoir employe a faire du gruau toute la farine de ble
noir qui restait, tandis qu'elle deva
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