oncle que j'etais la, puis revint me prier d'entrer.
L'abbe se cacha derriere la porte pour paraitre au premier signe.
Assurement, je fus surpris en voyant mon oncle. Il etait tres beau, tres
solennel, tres chic, ce vieux viveur.
Assis, presque couche dans un grand fauteuil, les jambes enveloppees d'une
couverture, les mains, de longues mains pales, pendantes sur les bras du
siege, il attendait la mort avec une dignite biblique. Sa barbe blanche
tombait sur sa poitrine, et ses cheveux, tout blancs aussi, la rejoignaient
sur les joues.
Debout, derriere son fauteuil, comme pour le defendre contre moi, deux
jeunes femmes, deux grasses petites femmes, me regardaient avec des yeux
hardis de filles. En jupe et en peignoir, bras nus, avec des cheveux noirs
a la diable sur la nuque, chaussees de savates orientales a broderies d'or
qui montraient les chevilles et les bas de soie, elles avaient l'air,
aupres de ce moribond, des figures immorales d'une peinture symbolique.
Entre le fauteuil et le lit, une petite table portant une nappe, deux
assiettes, deux verres, deux fourchettes et deux couteaux, attendait
l'omelette au fromage commandee tout a l'heure a Melanie.
Mon oncle dit d'une voix faible, essoufflee, mais nette:
--Bonjour, mon enfant. Il est tard pour me venir voir. Notre connaissance
ne sera pas longue.
Je balbutiai: "Mon oncle, ce n'est pas ma faute..."
Il repondit: "Non. Je le sais. C'est la faute de ton pere et de ta mere
plus que la tienne... Comment vont-ils?"
--Pas mal, je vous remercie. Quand ils ont appris que vous etiez malade,
ils m'ont envoye prendre de vos nouvelles.
--Ah! Pourquoi ne sont-ils pas venus eux-memes?
Je levai les yeux sur les deux filles, et je dis doucement: "Ce n'est pas
de leur faute s'ils n'ont pu venir, mon oncle. Mais il serait difficile
pour mon pere, et impossible pour ma mere d'entrer ici..."
Le vieillard ne repondit rien, mais souleva sa main vers la mienne. Je pris
cette main pale et froide et je la gardai.
La porte s'ouvrit: Melanie entra avec l'omelette et la posa sur la table.
Les deux femmes aussitot s'assirent devant leurs assiettes et se mirent a
manger sans detourner les yeux de moi.
Je dis: "Mon oncle, ce serait une grande joie pour ma mere de vous
embrasser."
Il murmura: "Moi aussi... je voudrais..." Il se tut. Je ne trouvais rien a
lui proposer, et on n'entendait plus que le bruit des fourchettes sur la
porcelaine et ce vague mouvement des
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