ns cesse dans l'absolue
solitude, s'enfoncait en lui a la facon d'une vrille. Il marchait
maintenant dans sa demeure ainsi qu'une bete en cage, collant son oreille a
la porte pour ecouter si l'autre etait la, et le defiant, a travers le mur.
Puis, des qu'il sommeillait, vaincu par la fatigue, il entendait la voix
qui le faisait bondir sur ses pieds.
Une nuit enfin, pareil aux laches pousses a bout, il se precipita sur la
porte et l'ouvrit pour voir celui qui l'appelait et pour le forcer a se
taire.
Il recut en plein visage un souffle d'air froid qui le glaca jusqu'aux os
et il referma le battant et poussa les verrous, sans remarquer que Sam
s'etait elance dehors. Puis, fremissant, il jeta du bois au feu, et s'assit
devant pour se chauffer; mais soudain il tressaillit, quelqu'un grattait le
mur en pleurant.
Il cria eperdu: "Va-t-en." Une plainte lui repondit, longue et douloureuse.
Alors tout ce qui lui restait de raison fut emporte par la terreur. Il
repetait "Va-t-en" en tournant sur lui-meme pour trouver un coin ou se
cacher. L'autre, pleurant toujours, passait le long de la maison en se
frottant contre le mur. Ulrich s'elanca vers le buffet de chene plein de
vaisselle et de provisions, et, le soulevant avec une force surhumaine, il
le traina jusqu'a la porte, pour s'appuyer d'une barricade. Puis, entassant
les uns sur les autres tout ce qui restait de meubles, les matelas, les
paillasses, les chaises, il boucha la fenetre comme on fait lorsqu'un
ennemi vous assiege.
Mais celui du dehors poussait maintenant de grands gemissements lugubres
auxquels le jeune homme se mit a repondre par des gemissements pareils.
Et des jours et des nuits se passerent sans qu'ils cessassent de hurler
l'un et l'autre. L'un tournait sans cesse autour de la maison et fouillait
la muraille de ses ongles avec tant de force qu'il semblait vouloir la
demolir; l'autre, au dedans, suivait tous ses mouvements, courbe, l'oreille
collee contre la pierre, et il repondait a tous ses appels par
d'epouvantables cris.
Un soir, Ulrich n'entendit plus rien; et il s'assit, tellement brise de
fatigue qu'il s'endormit aussitot.
Il se reveilla sans un souvenir, sans une pensee, comme si toute sa tete se
fut videe pendant ce sommeil accable. Il avait faim, il mangea.
* * * * *
L'hiver etait fini. Le passage de la Gemmi redevenait praticable; et la
famille Hauser se mit en route pour rentrer dans son auberge.
|