Mgr de la Hotoie occupait le premier etage d'un palais, oeuvre d'un
eleve de San-Gallo, situe entre le palais Farnese et le Ghetto, aux
environs de San-Vicenzo et du Tibre, dans un quartier miserable et
infect.
Il en etait de ce palais comme de la plupart de ceux qu'on voit a Rome,
il n'avait jamais ete termine; en effet, un grand nombre de ces palais
ont ete construits par des cardinaux qui, arrives tard a la fortune, ont
voulu se faire elever une habitation princiere: mais, surpris par la
mort, ils n'ont pu l'achever, et leurs heritiers, qui bien souvent
etaient de simples paysans sans orgueil, n'ont eu garde d'engloutir dans
de luxueuses constructions l'argent qu'ils venaient de recueillir. Que
leur importait le palais commence par leur oncle ou leur cousin, qu'ils
n'auraient pas pu habiter tous?
Mgr de la Hotoie avait loue une des ailes de ce palais au moment ou il
avait commence a former sa collection, et, dans dix grandes pieces qui
se suivaient, il avait etabli ses tableaux, ses statues, ses meubles,
ses armes, ses poteries, ses sarcophages, ses bas-reliefs, ses
medailles, dont la reunion formait un tres-curieux musee.
Le gardien de ce musee etait un pauvre diable nomme Baldassare, que Mgr
de la Hotoie avait trouve en 1870 au bagne de Civita-Vecchia, ou il
expiait un crime qui, en Italie, n'est nullement deshonorant, un coup de
couteau qui avait cause la mort d'une femme. Il est vrai que cette femme
etait la sienne. Mais c'etait la jalousie qui lui avait mis le couteau
a la main, et c'etait la une circonstance attenuante. Enfin, Mgr de la
Hotoie s'etait interesse a lui et avait obtenu sa grace peu de temps
avant l'invasion piemontaise.
Ce n'etait pas par un desinteressement tout a fait pur que Mgr de la
Hotoie avait accorde sa protection a Baldassare. "Avant son malheur,"
comme on dit, celui-ci etait ouvrier, tres-habile ouvrier chez un
marchand de curiosites et d'antiquites de la via Condotti; et Mgr de la
Hotoie avait voulu se l'attacher pour entretenir son musee. En sortant
du bagne, Baldassare etait venu s'etablir chez son protecteur, et depuis
cette epoque il n'etait guere sorti des salons qui etaient confies a sa
garde.
Il vivait la, sauvage, farouche, avec une petite fille de six ans que
lui avait laissee sa femme, et qu'il adorait passionnement, par cette
unique raison qu'elle etait le portrait vivant de celle qu'il avait
tuee.
La premiere fois que madame Pretavoine s'etait presentee chez
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