sans defiance et d'un coeur charme; vous avez sollicite ma
curiosite, vous l'avez ravie; vous m'avez emu, je subis la douce ivresse
que votre art m'a preparee. Et, tout d'un coup, voici que mon emotion
s'arrete et se glace. Qu'avez-vous fait? Au milieu de l'idylle
enchantee, voici une tirade traitresse dont je reconnais l'inspirateur,
voici le sermon socialiste qui commence, et le charme cesse d'agir. Vous
me rejetez de vive force, et par une sorte de perfidie, dans ce milieu
discordant et agite que je voulais fuir. Je reconnais ici le discours de
M. Michel (de Bourges), la le pamphlet enflamme de M. de Lamennais,
ailleurs le reve philosophique et religieux de M. Pierre Leroux; courez
apres mon emotion, essayez de la ressaisir, elle est bien loin. J'ajoute
que, par la force des choses, dans ces episodes de predication
intermittente, le talent ni le style ne sont plus les memes. On sent
trop bien que l'inspiration vient du dehors et que cette parole n'est
qu'un echo. L'inevitable declamation arrive, comme toujours, quand le
style n'est plus le son meme de l'ame, directement frappee par son
emotion propre. L'eloquence se guinde, la verve forcee prend des airs
d'emphase.
Que l'on eprouve cette critique sur les principaux romans de cette
seconde periode. C'est vers 1840, avec _le Compagnon du tour de France_,
que le systeme arrive et que le socialisme entre en campagne. Certes il
y a des parties charmantes dans ce roman, des types et des situations
saisis avec art. Le fond de l'oeuvre est, ou du moins devrait etre, le
contraste de l'amour genereux et vraiment grand de Pierre Huguenin, avec
la passion vaniteuse et sensuelle d'Amaury, l'un devouant l'ardeur de sa
chaste pensee a une vierge austere, grave, qui est toute intelligence et
toute ame, l'autre cherchant la satisfaction d'un gout d'artiste dans la
seduction d'une femme elegante et coquette, qu'il aime avec tout
l'orgueil de ses sens et toute l'exaltation d'une fantaisie. Ce qui est
vrai dans ce roman, ce qui est bien observe et vraiment beau, c'est
l'effet de ce faux et mauvais amour sur Amaury. Ce coeur bien doue, mais
faible, dupe de sa vanite, expie cruellement sa faute, non par la perte
de son avenir, mais, ce qui est plus terrible, par la degradation
successive de ses belles qualites. La volupte et l'ambition l'ont
touche, elles le possederont a jamais. Ce qui est vrai aussi, et
admirablement decrit, c'est l'effet d'un noble amour sur Pierre
Huguenin; c'est la
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