s'envoler bien
loin.
_Horace_ serait l'analyse interessante d'un caractere miserablement
personnel et faible, si le roman n'etait pas gate par le contraste trop
visiblement cherche d'Arsene, l'homme du peuple sublime, heros du
socialisme naissant, type de toutes les vertus selon la morale nouvelle.
Dans _Jeanne_ on voit poindre l'_idee druidique_, si chere a quelques
amis de Mme Sand, melee a je ne sais quelle vague synthese ou quel chaos
religieux. Ici encore, on voudrait choisir dans cette oeuvre si
melangee. Quelques episodes charmants, comme la rencontre de Jeanne
endormie dans les _Pierres Jomatres_ et comme le poisson d'avril,
quelques scenes rustiques, admirablement peintes, comme l'incendie dans
un hameau, les lavandieres, la mort a la campagne, la fenaison, ne
suffisent pas a sauver le roman de l'ennui que vous cause la
preoccupation du systeme, incessamment ramene a la traverse du
sentiment. Peu a peu le systeme tue le roman. Il arrive un moment ou
Jeanne n'est plus cette fille des champs, admirablement simple et pure,
dont le charme naif inspire de l'amitie ou de l'amour a tous ceux qui la
rencontrent, et qui s'en etonne ou s'en effraye avec tant de modestie et
de pudeur. Elle se transforme a vue d'oeil. Elle devient tantot la
Velleda du Mont-Barlot, tantot la Grande Pastoure, elle grandit sans
cesse, si c'est grandir, au point de vue de l'art, que de passer a
l'etat de mythe et d'allegorie. Elle symbolise l'ame heroique et reveuse
du peuple des campagnes. Je le veux bien, mais je ferme le livre au
moment ou la jeune paysanne devient une si belle parleuse, et je passe
avec empressement a _Consuelo_.
Ici encore, malgre les tresors d'invention et d'art qui s'y depensent,
n'eprouverai-je aucune deconvenue? Certes je ne suis pas assez sottement
empresse de prouver ma critique, pour discuter l'etonnante fecondite
d'invention, la curiosite, la passion repandues dans tout ce roman et
meme dans la premiere partie de _la Comtesse de Rudolstadt_, qui en est
la suite. Mme Sand, comme elle l'avoue, sentait la un beau sujet, des
types puissants, une epoque et des pays semes d'accidents historiques,
dont le cote intime etait precieux a explorer, et a travers lesquels son
imagination se promenait avec une emotion croissante, a mesure qu'elle
avancait au hasard, toujours frappee et tentee par des horizons
nouveaux. Des lectures recentes qui avaient vivement saisi son esprit
mobile l'attiraient a cette entreprise singulie
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