une
curiosite tumultueuse, sans direction et sans ordre. Un nouveau
changement se fit a cette epoque dans son esprit. Elle abandonna
l'_Imitation de Jesus-Christ_ et le dogme de l'humilite pour le _Genie
du Christianisme_, qui l'initiait a la poesie romantique plutot qu'a une
forme nouvelle de la verite religieuse. Bientot elle passa a la
philosophie; chaque livre nouveau marquait en elle comme une nouvelle
ere. Je ne connais rien de dangereux comme la metaphysique, prise a
grande dose et sans methode par un esprit ardent et completement
inexperimente. Il y a pour ces jeunes intelligences un egal peril ou de
s'attacher exclusivement a une doctrine, quand on est incapable de
l'examiner avec sang-froid, et d'y puiser l'enthousiasme exclusif d'un
sectaire, ou bien de tout confondre et de tout meler dans un eclectisme
sans jugement, de rapprocher par des affinites de sentiment des noms et
des dogmes disparates, comme Jesus-Christ et Spinoza. La jeune reveuse
ne put echapper a ce double peril: elle passa tour a tour de
l'enthousiasme qui confond tout a l'enthousiasme qui s'attache
exclusivement a une pensee ou a un nom, tout cela au gre de la sensation
presente ou du caprice de l'imagination. Mais elle augmentait rapidement
son capital de connaissances, qui fut bientot considerable, bien
qu'assez mal classe. Sans facons, elle s'etait mise aux prises avec
Mably, Locke, Condillac, Montesquieu, Bacon, Bossuet, Aristote, Leibniz
surtout, qu'elle mettait au-dessus de tous les autres comme
metaphysicien (ce qui etait une vue et une preference heureuses),
Montaigne, Pascal. Puis etaient venus les poetes et les moralistes, La
Bruyere, Pope, Milton, Dante, Virgile, Shakespeare; le tout sans idee de
suite, sans programme d'etudes, comme ils lui tomberent sous la main.
Elle s'emparait de cette masse tourbillonnante d'idees avec une etrange
facilite d'intuition; la cervelle etait profonde et large, la memoire
etait docile, le sentiment vif et rapide, la volonte tendue. Enfin
Rousseau etait arrive; elle avait reconnu son maitre, elle avait subi le
charme imperieux de cette logique ardente, et son divorce avec le
catholicisme fut consomme.
Dans ce conflit d'opinions et de doctrines, sa force nerveuse s'etait
epuisee a essayer de tout comprendre, de tout concilier ou de choisir.
_Rene_ de Chateaubriand, _Hamlet_ de Shakespeare, Byron enfin avaient
acheve l'oeuvre. Elle etait tombee dans un desarroi intellectuel et
moral, dans une melanc
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