aventures, qui, tres jeune, unit son sort a celui d'une fort aimable et
spirituelle modiste de Paris, contre le gre de Mme Dupin, tour a tour
indulgente et courroucee. Maurice Dupin eut, en 1804, une fille, Aurore,
qui devait illustrer le nom de George Sand.]
CHAPITRE II
HISTOIRE DES OEUVRES DE GEORGE SAND
L'ORDRE ET LA SUCCESSION PSYCHOLOGIQUE DE SES ROMANS
Quelle idee George Sand se faisait-elle du roman quand elle entreprit
d'ecrire pour le public? Meme en faisant aussi large que l'on voudra la
part de la spontaneite, peut-on croire que cette intelligence, si
richement douee et si feconde, ait marche tout a fait au hasard, dans
les voies qui se sont offertes a elle, avec l'indifference banale d'un
talent qui ne vise qu'au succes, ou bien s'est-elle developpee selon la
regle inapercue, mais active, d'instincts energiques et permanents? Elle
va repondre pour nous:
"Je n'avais pas la moindre theorie quand je commencai a ecrire, et je ne
crois pas en avoir jamais eu quand une envie de roman m'a mis la plume
en main. Cela n'empeche pas que mes instincts ne m'aient fait, a mon
insu, la theorie que je vais etablir, que j'ai generalement suivie sans
m'en rendre compte, et qui, a l'heure ou j'ecris, est encore en
discussion. Selon cette theorie, le roman serait une oeuvre de poesie
autant que d'analyse. Il y faudrait des situations vraies et des
caracteres vrais, reels meme, se groupant autour d'un type destine a
resumer le sentiment ou l'idee principale du livre. Ce type represente
generalement la passion de l'amour, puisque presque tous les romans sont
des histoires d'amour. Selon la theorie annoncee (et c'est la qu'elle
commence), il faut idealiser cet amour, ce type par consequent, et ne
pas craindre de lui donner toutes les puissances dont on a l'aspiration
en soi-meme, ou toutes les douleurs dont on a vu ou senti la blessure.
Mais, en aucun cas, il ne faut l'avilir dans le hasard des evenements;
il faut qu'il meure ou triomphe, et on ne doit pas craindre de lui
donner une importance exceptionnelle dans la vie, des forces au-dessus
du vulgaire, des charmes ou des souffrances qui depassent tout a fait
l'habitude des choses humaines, et meme un peu _le vraisemblable_ admis
par la plupart des intelligences. En resume, idealisation du sentiment
qui fait le sujet, en laissant a l'art du conteur le soin de placer ce
sujet dans des conditions et dans un cadre de realite assez sensible
pour le faire ressortir."
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