ouverons pas sur notre chemin, sans etre precisement une
_realite offensive_ dans les premieres annees, sans etre d'ordinaire ni
mechant ni brutal, s'etait arrange de maniere a devenir insupportable et
a rendre la vie commune bien difficile a une femme d'un caractere
solitaire et assez sauvage, qu'on ne pouvait ni asservir ni reduire dans
ses habitudes et ses gouts. Quelques autres defauts, plus graves,
parait-il, vinrent s'ajouter aux difficultes conjugales et deciderent
une separation, qui, d'abord partielle et librement consentie, devint
definitive.
Il arriva enfin un jour ou Mme Dudevant reconquit son droit entier a
l'independance qu'elle avait tant de fois souhaitee. En 1836 un jugement
du tribunal de Bourges prononca la separation a son profit et lui laissa
l'education des deux enfants. Mais deja elle avait fait l'essai
dangereux de la celebrite litteraire par des oeuvres qui avaient surpris
l'attention publique. Elle y etait arrivee avec les qualites dont nous
lui avons vu faire l'essai dans la retraite, interieurement si agitee,
ou elle avait vecu: l'habitude des longues reveries, qui etait devenue
un abri contre la vie reelle, une sensibilite tres vive pour toutes les
formes de la souffrance humaine, une bonte qui fut pour elle une source
d'inspirations et en meme temps une occasion perpetuelle d'erreurs et de
malentendus dans son existence; enfin une imagination inepuisable dont
elle avait suivi en secret, avec delices, les jeux et les combinaisons
tour a tour ravissantes et terribles, jusqu'au jour ou elle imagina de
les jeter dans le public, qui s'en eprit passionnement et acclama le nom
de l'enchanteresse. On lui donna presque aussitot sa place, et ce fut
souvent la premiere, dans cette illustre pleiade de romanciers qui
embrassait les noms si divers de Balzac, d'Alexandre Dumas, de Jules
Sandeau, et dans laquelle le nom de George Sand garda son eclat
personnel sans rien emprunter aux astres fraternels et voisins.
NOTES:
[Note 1: Sa grand'mere etait la propre fille du marechal Maurice de Saxe
et d'une des demoiselles Verriere, bien connues au XVIIIe siecle. Son
grand-pere etait le celebre M. Dupin de Francueil, que Jean-Jacques
Rousseau et Mme d'Epinay designent sous le nom de Francueil seulement,
et qui, a l'age de soixante-deux ans, etait encore un _reste d'homme
charmant_ du dernier siecle. De ce mariage etait ne Maurice Dupin, un
militaire, brillant causeur la plume a la main, un peu trop ami des
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