nne et qui la prit tout de suite a gre, "tout en ne lui parlant
point d'amour, et s'avouant peu dispose a la passion subite, a
l'enthousiasme, et, dans tous les cas, inhabile a l'exprimer d'une
maniere seduisante". On fit a Aurore la plaisanterie de la traiter comme
sa femme future; il n'en fallut pas davantage. Elle se maria presque
passivement, comme elle faisait tous les actes exterieurs de sa vie. Le
mariage eut lieu en septembre 1822; ils partirent pour Nohant, ou sa
premiere occupation, pendant l'hiver de 1823, fut le souci de la
maternite qui se preparait pour elle, a travers les plus doux reves et
les plus vives aspirations. La transformation fut complete pour elle.
Les besoins de l'intelligence, l'inquietude des pensees, les curiosites
de l'etude comme celles de l'observation, tout disparut, dit-elle,
aussitot que le doux fardeau se fit sentir. "La Providence veut que,
dans cette phase d'attente et d'espoir, la vie physique et la vie du
sentiment predominent. Aussi les veilles, les lectures, les reveries, la
vie intellectuelle en un mot fut naturellement supprimee, et sans le
moindre merite ni le moindre regret." Son mari etait une nature negative
et tatillonne; il passait sa vie a la chasse; elle, sans un seul point
d'appui autour d'elle, s'abstint de rever; elle fit des layettes avec
une ardeur et bientot une _maestria_ de coup de ciseaux qui la
surprirent elle-meme.
Sauf l'episode de la maternite, les commencements de cette existence
nouvelle furent assez ternes. Ce ne fut que par accident que revinrent
plus tard des acces de cette exaltation douloureuse qui avait fait
jusque-la son secret supplice et, ce qui est plus dangereux, sa secrete
et chere volupte. Quelques annees se passerent dans une sorte de
tranquillite prosaique et de bonheur negatif. Le reve semblait s'etre
enfui bien loin; deux beaux enfants grandissaient autour d'elle. Elle
etait devenue, s'il faut l'en croire, une _campagnarde engourdie_, en
apparence au moins; elle s'appliqua meme a devenir une bonne femme de
menage, ce qui est plus difficile encore. Si sa pensee travaillait
encore solitairement dans la condition tres bourgeoise ou elle semblait
condamnee a vivre, la jeune mere n'avait pas le pedantisme de ses
agitations morales; personne n'en avait le secret ni meme le soupcon
autour d'elle, et quand elle eut ecrit ses premiers romans, un de ses
plus chers amis, un habitue de Nohant, le Malgache, lui ecrivait:
"_Lelia_, c'est une fantais
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