ois nous edifier par ta mort. En la retardant, tu
commettrais sans doute quelque action mauvaise qui perdrait le fruit des
bonnes. D'ailleurs la puissance de Dieu est infinie. Peut-etre que ton
exemple va convertir le peuple entier.
Et dans la loge en face, les lions passent et reviennent sans s'arreter,
d'un mouvement continu, rapide. Le plus grand tout a coup regarde
Antoine, se met a rugir--et une vapeur sort de sa gueule.
Les femmes sont tassees contre les hommes.
LE CONSOLATEUR
va de l'un a l'autre.
Que diriez-vous, que dirais-tu, si on te brulait avec des plaques de
fer, si des chevaux t'ecarteraient, si ton corps enduit de miel etait
devore par les mouches! Tu n'auras que la mort d'un chasseur qui est
surpris dans un bois.
Antoine aimerait mieux tout cela que les horribles betes feroces; il
croit sentir leurs dents, leurs griffes, entendre ses os craquer dans
leurs machoires.
Un belluaire entre dans le cachot; les martyrs tremblent.
Un seul est impassible, le Phrygien, qui priait a l'ecart. Il a brule
trois temples; et il s'avance les bras leves, la bouche ouverte, la tete
au ciel, sans rien voir, comme un somnambule.
LE CONSOLATEUR
s'ecrie:
Arriere! arriere! L'esprit de Montanus vous prendrait.
TOUS
reculent, en vociferant:
Damnation au Montaniste!
Ils l'injurient, crachent dessus, voudraient le battre.
Les lions cabres se mordent a la criniere. Le peuple hurle: "Aux betes!
aux betes!"
Les martyrs eclatant en sanglots, s'etreignent. Une coupe de vin
narcotique leur est offerte. Ils se la passent de main en
main, vivement.
Contre la porte de la loge, un autre belluaire attend le signal. Elle
s'ouvre; un lion sort.
Il traverse l'arene, a grands pas obliques. Derriere lui, a la file,
paraissent les autres lions, puis un ours, trois pantheres, des
leopards. Ils se dispersent comme un troupeau dans une prairie.
Le claquement d'un fouet retentit. Les chretiens chancellent,--et, pour
en finir, leurs freres les poussent. Antoine ferme les yeux.
Ils les ouvre. Mais des tenebres l'enveloppent.
Bientot elles s'eclairassent; et il distingue une plaine aride et
mamelonneuse, comme on en voit autour des carrieres abandonnees.
Ca et la, un bouquet d'arbustes se leve parmi des dalles a ras du sol;
et des formes blanches, plus indecises que des nuages, sont penchees
sur elles.
Il en arrive d'autres, legerement. Des yeux brillent dans la fente des
longs voiles. A la noncha
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