sir de tes yeux!
ANTOINE
Quelle joie trouver? mon coeur est las, mes yeux sont troubles!
ELLE
reprend:
Gagne le faubourg de Racotis, pousse une porte peinte en bleu; et quand
tu seras dans l'atrium ou murmure un jet d'eau, une femme se
presentera--en peplos de soie blanche lame d'or, les cheveux denoues, le
rire pareil au claquement des crotales. Elle est habile. Tu gouteras
dans sa caresse l'orgueil d'une initiation et l'apaisement d'un besoin.
Tu ne connais pas, non plus, le trouble des adulteres, les escalades,
les enlevements, la joie de voir toute nue celle qu'on respectait
habillee.
As-tu serre contre ta poitrine une vierge qui t'aimait? Te rappelles-tu
les abandons de sa pudeur, et ses remords qui s'en allaient sous un flux
de larmes douces!
Tu peux, n'est-ce pas, vous apercevoir marchant dans les bois sous la
lumiere de la lune? A la pression de vos mains jointes un fremissement
vous parcourt; vos yeux rapproches epanchent de l'un a l'autre comme des
ondes immaterielles, et votre coeur s'emplit; il eclate; c'est un suave
tourbillon, une ivresse debordante ...
LA VIEILLE
On n'a pas besoin de posseder les joies pour en sentir l'amertume! Rien
qu'a les voir de loin, le degout vous en prend. Tu dois etre fatigue par
la monotonie des memes actions, la duree des jours, la laideur du monde,
la betise du soleil!
ANTOINE
Oh! oui, tout ce qu'il eclaire me deplait!
LA JEUNE
Ermite! ermite! tu trouveras des diamants entre les cailloux, des
fontaines sous le sable, une delectation dans les hasards que tu
meprises; et meme il y a des endroits de la terre si beaux qu'on a envie
de la serrer contre son coeur.
LA VIEILLE
Chaque soir, en t'endormant sur elle, tu esperes que bientot elle te
recouvrira!
LA JEUNE
Cependant, tu crois a la resurrection de la chair, qui est le transport
de la vie dans l'eternite!
La Vieille, pendant qu'elle parlait, s'est encore decharnee; et
au-dessus de son crane, qui n'a plus de cheveux, une chauve-souris fait
des cercles dans l'air.
La Jeune est devenue plus grasse. Sa robe chatoie, ses narines battent,
ses yeux roulent moelleusement.
LA PREMIERE
dit, en ouvrant les bras:
Viens, je suis la consolation, le repos, l'oubli, l'eternelle serenite!
et
LA SECONDE
en offrant ses seins:
Je suis l'endormeuse, la joie, la vie, le bonheur inepuisable!
Antoine tourne les talons pour s'enfuir. Chacune lui met la main sur
l'epaule.
Le lince
|