es courtines de
pourpre et des candelabres allumes. J'avais, pour me servir, toute une
tribu qui balancait des encensoirs, et le grand pretre en robe
d'hyacinthe, portant sur sa poitrine des pierres precieuses, disposees
dans un ordre symetrique.
Malheur! malheur! Le Saint-des-Saints s'est ouvert, le voile s'est
dechire, les parfums de l'holocauste se sont perdus a tous les vents. Le
chacal piaule dans les sepulcres; mon temple est detruit, mon peuple
est disperse!
On a etrangle les pretres avec les cordons de leurs habits. Les femmes
sont captives, les vases sont tous fondus!
La voix s'eloignant:
J'etais le Dieu des armees, le Seigneur, le Seigneur Dieu!
Alors il se fait un silence enorme, une nuit profonde.
ANTOINE
Tous sont passes.
Il reste moi!
dit QUELQU'UN.
Et Hilarion est devant lui,--mais transfigure, beau comme un archange,
lumineux comme un soleil,--et tellement grand, que pour le voir
ANTOINE
se renverse la tete.
Qui donc es-tu?
HILARION
Mon royaume est de la dimension de l'univers; et mon desir n'a pas de
bornes. Je vais toujours, affranchissant l'esprit et pesant les mondes,
sans haine, sans peur, sans pitie, sans amour, et sans Dieu. On
m'appelle la Science.
ANTOINE
se rejette en arriere:
Tu dois etre plutot ... le Diable!
HILARION
en fixant sur lui ses prunelles:
Veux-tu le voir?
ANTOINE
ne se detache plus de ce regard; il est saisi par la curiosite du
Diable. Sa terreur augmente, son envie devient demesuree.
Si je le voyais pourtant ... si je le voyais?...
Puis dans un spasme de colere:
L'horreur que j'en ai m'en debarrassera pour toujours.--Oui!
Un pied fourchu se montre.
Antoine a regret.
Mais le Diable l'a jete sur ses cornes, et l'enleve.
VI.
Il vole sous lui, etendu comme un nageur;--ses deux ailes grandes
ouvertes, en le cachant tout entier, semblent un nuage.
ANTOINE
Ou vais-je?
Tout a l'heure j'ai entrevu la forme du Maudit. Non! une nuee m'emporte.
Peut-etre que je suis mort, et que je monte vers Dieu?...
Ah! comme je respire bien! L'air immacule me gonfle l'ame. Plus de
pesanteur! plus de souffrance!
En bas, sous moi, la foudre eclate, l'horizon s'elargit, des fleuves
s'entre-croisent. Cette tache blonde c'est le desert, cette flaque
d'eau l'Ocean.
Et d'autres oceans paraissent, d'immenses regions que je ne connaissais
pas. Voici les pays noirs qui fument comme des brasiers, la zone des
neiges
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