embrasse tous bien, tous bien fort.
Votre fils qui vous aime bien tendrement,
FRANCOIS.
_Lettre ecrite par le Conducteur Andre CHAPELLE, de la S.S. 104, tombe
au champ d'honneur._
...Dire que nous croyions avoir tout vu dans l'Artois! Cela me parait
peu de chose aupres de la vie que nous allons mener ici!... Boue,
rafales de gresil, froid, pluie qui cingle, vent glacial, brouillard,
les marmites par-dessus tout cela! Et toujours en pleine nuit, sans
aucune lanterne, naturellement. Il y a bien les fusees qui illuminent
_a giorno_, mais c'est plutot une gene qu'une aide. Le meilleur, c'est
encore Astarte, reine du Ciel. Malheureusement, c'est huit ou dix jours
par mois. Aussi, nous continuons a suivre des yeux le calendrier, comme
dit Bugeon. Je te prie de croire que nous sommes au courant des phases
de la lune! Quant aux routes, defoncees, pleines de trous, ca ne change
pas; premiere vitesse et du cinq a l'heure! Souvent, quand on revient,
on ne peut plus passer: un 210 a coupe le chemin. Hier, avec un
camarade, nous etions ainsi de chaque cote d'un entonnoir. Que faire?
Et moi, j'avais des blesses! Il a fallu chercher un detour: cela a dure
deux heures; pauvres malheureux blesses, avec ce froid!... Mais tu
connais tout cela, et l'immobilite qui vous glace, et le morceau de
viande gelee avec un quignon de pain, et les nuits dans les postes,
avec le tintamarre du canon, et les quelques heures de sommeil (!)
dans quelque coin, enroule dans une couverture mouillee; je me demande
comment nous resistons.... Nuits de front, les fusees, les cris
lointains, les fusillades subites, l'inquietude, la fievre, les plaintes
des blesses, et puis ces minutes d'exaltation de tout l'etre, ou l'on
accepte.... Car nous autres, comment flancherions-nous, quand nous
voyons tous ces pauvres camarades que nous transportons, dont nous
tenons la vie entre nos mains, et qu'un coup de volant heureux peut
sauver en les faisant arriver cinq minutes plus tot sur la table
d'operation! Mais je crois bien que je vais me vanter! a toi!... Et
puis, je suis de ton avis, est-ce que cela existe aupres des fantassins?
Eux, eux seuls, et voila tout. Et dire que Paris ne se rendra jamais
compte!... Moi, quand je les vois, je me degoute et je m'injurie. Enfin,
quoi faire? Tu as le bonjour de Charles Bremond, etc....
_Lettre d'Andre CHASSEIN, Soldat au 149e Regiment d'Infanterie, arrive
du Bresil le 16 Mars 1915, parti au front le 18 Juin 19
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