Les voisins de lit sont Parisiens et l'on cause et l'on rit.
Admirablement bien soignes par docteurs et dames de la Croix-Rouge.
C'est heureux que je suis ici pour assez longtemps.
J'ai la jambe droite assez abimee par un eclat d'obus et une legere
blessure au bras droit.
Ne vous inquietez pas, que ce soit long ou court, que ce soit douloureux
ou non, il y en a tellement qui y laissaient leur peau!
Et puis, si je souffre, je suis content que ce soit pour quelque chose
qui merite qu'on lui sacrifie tout.
Tous mes amis et camarades de la compagnie etaient jeudi matin morts ou
blesses, je ne sais. Le 72e est tres decime (11e compagnie, il restait
70 hommes sur 250).
Soyez heureux au moins de la certitude que vous avez maintenant. Je vous
embrasse de tout coeur, papa, maman, Jacques.
N'oubliez pas d'embrasser pour moi bonne tante, tante Aimee et tous les
Maufroy.
Geo FARRET.
_Lettre du Sergent FILIPPINI, Pierre, 7e Regiment d'Infanterie, 7e
Compagnie, tombe au champ d'honneur, le 25 Septembre 1915, a l'age de 19
ans._
Mon cher Henri,
Excuse-moi de ne pas t'avoir ecrit plus tot, mais toujours j'attendais
de tes nouvelles et c'est par mon frere que j'apprends que tu venais
d'etre malade.
D'apres ce que mon frere m'ecrit, j'ai cru comprendre, pardonne-moi si
je me trompe, que la question physique n'etait pas la seule cause de ta
maladie. Je me permets de te dire cela, mon cher petit Henri, parce
que je crois etre assez lie avec toi pour te le dire sans crainte de
paraitre indiscret. Si, par hasard, tu as quelque chose qui te pese sur
le coeur, dis-le-moi, je serais tres heureux de pouvoir te reconforter;
ce ne seront pas des conseils d'un homme que je te donnerai, mais ceux
d'un jeune homme a qui la vie vient de se devoiler sous un autre
jour. J'ai souffert, depuis que j'ai quitte Bordeaux, physiquement et
moralement et meme oserai-je dire sans fanfaronnade plus que tu le peux
chez toi, pres des tiens. J'ai connu les affres de la faim, du froid et
de la mort. J'ai vu sept de mes camarades reduits en bouillie pres de
moi, je me suis vu deux fois enterre et a moitie asphyxie. J'en sors
indemne, c'est un miracle, et pourtant moralement et physiquement je ne
me suis jamais si bien porte. Pourquoi? Parce que je suis heureux de
faire mon devoir, parce que je sais que je deviens meilleur et que
maintenant je suis mon maitre.
Te souviens-tu de cette dissertation francaise de Monsieur Gain dans
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