asse, on salue et on chante la gloire aux heros,
on fait des funerailles de soldat; il semble que celui qui vient
d'entrer dans le repos eternel vient d'illuminer le bataillon d'un rayon
de gloire de plus. Jamais une larme, jamais un sanglot, un cri immense
des canons qui crachent, des cuivres qui sonnent--Vive la France!--Quand
le silence se fait, la civiere a marque sa trace lumineuse dans un
sillon de tetes nues ou l'imagination a trace la route du devoir.
Hier, j'ai vu, ecoute et regarde six hommes a beret montagnard, qui
jouaient une banque endiablee, car ici l'argent compte a peu pres comme
les haricots que l'on joue en famille; pour placer les cartes, ils
avaient une planche ronde ou plutot ovale; un eclat d'obus gros comme
une noix tombe au milieu de la planche, creve une carte.... J'etais a un
metre d'eux, je suivais sur leurs visages non pas les emotions que le
jeu pouvait y mettre, car il y a longtemps que leurs muscles sont voues
a l'impassibilite, mais la trace des rires que les saillies, les lazzi
pouvaient entrainer, je les ai vus tous comme l'objectif le plus pur
pouvait les prendre et voici ce que j'ai vu: l'un d'eux, celui qui
distribuait les cartes, a pris la carte crevee, qui desormais allait se
reconnaitre, et a dit une seule parole: "Salauds!" Aucun des six hommes
n'a interrompu son jeu; l'un des cinq autres a dit: "Donne-moi une
carte". Et la partie a continue sans qu'une parole de fanfaronnade soit
ajoutee. J'ai regarde ces hommes et, moi que tu connais, j'ai rougi ...
j'ai rougi pour moi-meme qui venais de saluer l'obus avec un serrement
de coeur, j'ai rougi pour mon courage de jeunesse que j'ai un peu oublie
dans la quietude du foyer, j'ai rougi pour mes nerfs encore indomptes
et, une larme de rage au fond du coeur, j'ai fait le serment de forcer
ma carcasse humaine a faire arreter mon coeur plutot que de le sentir
battre pour autre chose que pour la cause que nous defendons. Ces hommes
sont au feu pour la plupart depuis un an et la mort ils ne s'en soucient
guere. C'est eux qui sont devenus des hommes malgre leur jeunesse et
c'est nous qui sommes des enfants; mais deja nous nous ressaisissons au
contact de tant de vaillance et la meilleure des preuves c'est que la
nuit, moi et mes compagnons, nous dormons du sommeil du juste et qu'avec
le temps, nos nerfs obeissent a nos cerveaux.
Quant a l'avenir, il est certain que l'Allemagne est vaincue, que le
soleil luit. Ceux qui en douteraient peuven
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