les sacrifices qu'il fallait faire, c'est-a-dire risquer sa vie dix fois
plus que les hommes, etre debout quand ils sont couches, cible vivante
alors qu'ils sont abrites. Ce n'est pas que les hommes le comprennent,
Ils se disent, au contraire: "S'il n'etait pas reste debout, il n'aurait
pas ete touche". Ils ne se disent pas que s'il n'etait pas reste debout,
eux n'auraient pu rester couches.
Et voila comment votre fils est tombe mortellement en montrant l'exemple
du plus beau des sacrifices.
Vous pouvez etre fiers, cher Monsieur et chere Madame, de la mort
heroique de votre fils. Sa gloire rejaillira sur vous et dans vos larmes
d'infini regret luira l'admiration du plus grand sacrifice consenti par
un pere et une mere a la Patrie. Et aux peres et aux meres qui verront
leurs fils couverts de gloire et de lauriers, vous pourrez fournir
l'argument indeniable: "Le mien a fait plus, il a donne sa vie."
Vous me pardonnerez, cher Monsieur et chere Madame, si j'ai tant tarde a
vous ecrire, et ce n'est pas de gaiete de coeur que l'on apprend la mort
d'un ami si cher, d'un si bon fils, a ses parents.
Je connais bien sa tombe et je sais ce qui me reste a faire,
c'est-a-dire le venger ou mourir comme il est mort.
Recevez, Monsieur et Madame, mes condoleances les plus sinceres et
songez que vous n'etes pas seuls a pleurer votre heros.
Respectueuses salutations.
GUERIN.
_Lettre ecrite par le Sergent Henri GUERIN, 113e Regiment d'Infanterie,
tombe au champ d'honneur, au combat de Vouel-Tergnier, le 23 Mars 1918._
22 Mars 1918,
3 heures 1/2 de l'apres-midi.
Ma Soeur bien-aimee,
Nous attendons toujours la soupe, la premiere de la journee. Nous avons
ete alertes ce matin, a 4 heures, et nous avons quitte en autos-camions
le village d'ou je t'ai ecrit mes dernieres lettres. Les camions nous
ont transportes en arriere du front anglais, et nous sommes depuis plus
d'une heure dans un champ inculte, prets a partir au premier signal. Il
y a donc des chances pour que nous entrions incessamment dans la melee.
J'ai l'ame sereine, comme toujours, en ces heures graves. Je suis le
petit enfant du bon Dieu et il ne m'arrivera rien que de conforme a
sa volonte. Or, ce qu'il veut pour moi, je le veux avec lui sans
reserve.... Je n'ai donc pas lieu de m'inquieter....
Et j'eprouve une joie supreme a la pensee de faire une fois de plus
barriere de mon corps aux ennemis de ma Patrie, et de contribuer a
arreter la ruee
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