est force de detruire de fond en comble
pour les reprendre, et encore avec peine....
Pour me distraire de tout ce que je vois, j'ai lu hier soir, dans ma
niche, _Le Roi Lear_, que j'ai trouve trainant par la. Cela me rappelle
un bon temps deja loin, une belle soiree chez Antoine....
J'ai eu surtout hier, pour me mettre du baume au coeur, ta bonne lettre,
avec ton joli jasmin: merci, la maman. Nous manquons de fleurs ici: sur
le plateau, on ne voit comme floraison que, de loin en loin, emergeant
du chaos d'entonnoirs, des piquets a fils de fer boches, a forme de
tire-bouchons: c'est assez joli....
Et les communiques sont bons.
Esperons, et aimons-nous fort, fort....
_Lettre ecrite la veille de sa mort par Prosper FADHUILE,
Sous-Lieutenant au 29e Bataillon de Chasseurs a pied._
Maman cherie,
Je suis redescendu, hier, des premieres lignes, ou nous sommes restes
cinq jours, devant le fort de Vaux.
Le bataillon a ete superbe de courage et, pour ma part, je n'ai pas une
egratignure.
Ce soir, deux compagnies choisies remontent pour attaquer par surprise;
j'ai ete choisi pour mener aussi la danse avec les meilleurs chasseurs
du bataillon.
L'affaire promet d'etre chaude, mais interessante; c'est pourquoi je
suis fier et content d'en etre.
Neanmoins, je laisse cette lettre a un de mes camarades, le lieutenant
Guillaume, qui te la ferait parvenir si je ne redescendais pas.
Maman cherie, j'ai beaucoup d'espoir et je compte que mon etoile ne
palira pas ce soir. Mais, si je tombe, soyez certains que j'aurai fait
tout mon devoir de chasseur.
Si, au dernier moment, quelques minutes me restent encore pour vous, je
t'enverrai mes plus doux baisers. L'image de ma maman sera la pour me
consoler; celle de mon pere et de mes freres cheris pour me donner la
force de mourir le sourire aux levres, trop heureux de tomber pour vous.
Dans un long baiser a tous je vous dirai adieu.
P. FADHUILE.
_P.-S._--Ma chere maman, il ne faut pas pleurer, ce serait mal; il faut
etre courageuse pour mon papa et mes freres.
_Lettre ecrite sur son lit d'hopital par Geo FARRET, Soldat de 1re
classe, quelques jours avant sa mort._
Limoges, mardi 15 Septembre 1914.
Chers Parents,
C'est ici que j'ai echoue apres avoir passe quarante-huit heures dans le
train.
Bien content d'arriver la nuit derniere. Je suis dans un hopital
amenage, selon les circonstances, dans une ancienne caserne.
Je n'y serai point mal.
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