15.
FIAT!!!
Mon tres cher Joseph,
Ainsi que tu as du l'apprendre brievement, ma situation est changee et
me voila a nouveau dans le service arme, pret a endosser le sac et a
reprendre le "Lebel".
Je ne me plains pas, car Dieu m'a peut-etre exauce, car comme je le lui
ai souvent dit: j'aimerais mieux partir que de te voir partir maintenant
que tu es marie. Enfin, c'est sa volonte qui se manifeste et, comme ce
matin, je redis: "FIAT!"
Je pense quitter Grenoble lundi 20 courant, pour aller m'entrainer, car
je suis mobilisable depuis fin fevrier 1914, ce qui me donne l'espoir de
partir au premier convoi; au 140e, cela va rondement.
Je pars plein de courage bien que j'aie le pressentiment que je n'en
reviendrai pas; cependant, avec quel courage plus grand encore j'y
serais alle si j'avais pu embrasser une derniere fois ceux que j'aime
... mais il n'y faut pas penser. Mais toi, cher Joseph, qui maintenant
jouis du tarif militaire, est-ce que tu ne pourrais pas venir me voir
avant mon depart? Si oui, fais-le, car je t'embrasserai doublement
de coeur pour maman et pour toi. Si cela est possible, dis-le-moi et
attends ma nouvelle adresse.
J'ai demande plusieurs choses a maman, en outre le petit revolver de
poche; c'est une chose precieuse, car si l'on est desarme ou si l'on a
perdu son fusil, si, blesse, vous vous voyez pret a etre acheve, une
arme petite, maniable, n'est pas de reste pour sa defense; les blesses
en ont tellement reconnu l'utilite que tous, ou presque, s'en munissent
avant de partir. Tache de me le faire parvenir.
Je regrette de vous donner tant de tracas, et peut-etre diras-tu que ma
personne ne vaut pas la peine de tant se tracasser pour elle; c'est vrai
et j'en conviens; aussi, faites comme vous voudrez.... Surtout, priez
un peu pour moi et, quoi qu'il arrive, sachez, que je vous ai toujours
aimes.
Je m'arrete car je deviens triste malgre moi, je t'embrasse de tout
coeur ainsi que ton epouse, que je regrette de ne pas avoir connue.
Ton frere qui t'aime,
PIERRE.
_Lettre ecrite par Auguste GROENER, tombe au champ d'honneur le 4 Aout
1918._
Ma chere Mere,
Montons ce soir pour attaquer. A Dieu vat! si je meurs face aux Boches.
Prends confiance, c'est pour la France et pour garder ta maison.
Adieu, derniers baisers.
GROENER.
_Lettre ecrite a sa mere par le Lieutenant Henri GROS, 86e Regiment
d'Infanterie, tombe au champ d'honneur, a Vermandovillers (Somme), le 1
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