mauvais sang, ce n'est pas la peine, tu le sais bien. J'ai
moi-meme bien du mal a me faire une raison.
Tu me pardonneras si je ne reponds pas a tout ce que tu me dis dans ta
lettre, car je ne peux plus mettre la main dessus et je ne me rappelle
plus tres bien de son contenu. Tu me demandes si tu peux m'envoyer
l'Anabase de Xenophon, je le veux bien, il me sera toujours utile. Je
continue, en effet, ma grammaire grecque dont j'ai vu une quarantaine
de pages et sans ce malencontreux retard ca pourrait encore aller plus
vite, mais l'on ne fait pas toujours comme l'on veut dans ce sacre
metier.
Mais il parait qu'apres cela on va descendre au grand repos, pendant
quelque temps. Cette facon de proceder est peut-etre meilleure. Je
ne vois rien a te dire de plus, l'existence est si peu variee,
heureusement!
Je ne peux, en terminant, que te dire de t'armer de courage et
t'embrasser tendrement.
Ton fils qui t'aime,
JEAN.
_Lettre ecrite a sa femme par Louis DEROCHE, 27e Regiment d'Infanterie,
tombe au champ d'honneur, a Dolwing, le 20 Aout 1914._
17 Aout 1914.
J'ai recu hier, au petit jour, le bapteme du feu! Ce fut gentil tout
plein. A la premiere decharge, un schrapnell, fusant sur mon escouade
accroupie, traversa d'une balle le sac de mon camarade de gauche,
dechira ma bretelle de fusil, rasa la figure du Caporal et d'un dernier
plomb, le plus tragique, traversa le bras de mon vieux Faivre.
Pas une minute d'emotion!
...Nous sommes restes jusqu'a 3 heures de l'apres-midi sous le feu
de ces cochons-la. Qu'ils tirent mal et quelle inutile gabegie d'une
marchandise qui coute si cher!
...Ma compagnie, qui est des plus eprouvees, vient de se retirer en
arriere et en reserve de facon a prendre un repos bien gagne.
...Tu ne saurais croire, mon petit ange, combien la proximite du danger
agit salutairement sur l'ame de ton gosse. Je vis en une communion
continuelle avec Dieu, dans lequel ma confiance augmente sans cesse.
Ainsi, je lui dois mon calme, qui n'est pas une des moindres assurances
contre le danger. Je lui ai promis, ainsi qu'a la Vierge d'Etang, que,
si nous nous retrouvons bientot heureux, chaque annee, nos enfants et
nous, feraient le pelerinage de Velars....
J'ai enterre ce matin les deux morts de ma compagnie, pour lesquels j'ai
dresse une croix et recite une priere. C'est a toi, mon amie, que je
dois ce petit courage.
...Adieu, mon petit gosse, je te quitte. Continue d'etre l'ange d
|