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des causes multiples dont j'essaie de demeler quelques-unes.
Un homme ne chretien et francais, dit La Bruyere, se sent mal a l'aise
dans les grands sujets. Le XVIIIe siecle litteraire, qui s'est trouve si
a l'aise dans les grands sujets et les a traites si legerement, n'a
ete ni chretien ni francais. Des le commencement du XVIIIe siecle
l'extinction brusque de l'idee chretienne, a partir du commencement du
XVIIIe siecle la diminution progressive de l'idee de patrie, tels ont
ete les deux signes caracteristiques de l'age qui va de 1700 a 1790.
L'une de ces disparitions a ete brusque, dis-je, et comme soudaine;
l'autre s'est faite insensiblement, mais avec rapidite encore, et, en
1750 environ, etait consommee, heureusement non pas pour toujours.
J'attribue la diminution de l'idee de patrie, comme tout le monde, je
crois, a l'absence presque absolue de vie politique en France depuis
Louis XIV jusqu'a la Revolution. Deux etats sociaux ruinent l'idee ou
plutot le sentiment de la patrie: la vie politique trop violente, et la
vie politique nulle. Autant, dans la fureur des partis excites creant
une instabilite extreme dans la vie nationale et comme un etourdissement
dans les esprits, il se produit vite ce qu'on a spirituellement appele
une "emigration a l'interieur", c'est-a-dire le ferme dessein chez
beaucoup d'hommes de reflexion et d'etude de ne plus s'occuper du pays
ou ils sont nes, et en realite de n'en plus etre;--autant, et pour les
memes causes, dans un etat social ou le citoyen ne participe en aucune
facon a la chose publique, et au lieu d'etre un citoyen, n'est, a vrai
dire, qu'un tributaire, l'idee de patrie s'efface, quitte a ne se
reveiller, plus tard, que sous la rude secousse de l'invasion. C'est ce
qui est arrive en France au XVIIIe siecle. Fenelon le prevoyait tres
bien, au seuil meme du siecle, quand il voulait faire revivre l'antique
constitution francaise, et, par les conseils de district, les conseils
de province, les Etats generaux, ramener peuple, noblesse et clerge,
moins encore a participer a la chose nationale qu'a s'y interesser[1].
Et on se rappellera qu'a l'autre extremite de la periode que nous
considerons, la Revolution francaise a ete tout d'abord cosmopolite, et
non francaise, a songe "a l'homme" plus qu'a la patrie, et n'est devenue
"patriote" que quand le territoire a ete Envahi.
[Note 1: Voir notre _Dix-septieme Siecle_, article Fenelon. (Societe
francaise d'Imprimerie et de Libra
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